Après six mois marqués par des bouleversements politiques et socio-économiques, la guerre en Ukraine, une crise de l’énergie et une inflation alarmante, la France a clôturé sa présidence du Conseil de l’Union européenne (PFUE) le 30 juin passant le flambeau à la Tchéquie, qui assumera ce rôle délicat jusqu’au 31 décembre 2022.
Si cette présidence s’est placée sous le signe de la gestion de crise, une des priorités de ce premier semestre restait néanmoins de faire avancer les travaux du Conseil sur les propositions législatives de la Commission européenne visant à permettre à l’UE d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Au programme de la présidence française figurait notamment la première étape vers cette neutralité climatique : le paquet “Ajustement à l’objectif 55”, dit paquet climat ou Fit for 55. Cet ensemble d’initiatives vise à transformer et adapter la législation européenne en matière de climat, d’énergie et de transport afin de réduire les émissions nettes de gaz à effet de serre du bloc d’au moins 55% d’ici à 2030.
Ainsi, la France avait pour rôle de coordonner les travaux des différents experts des États membres en vue d’obtenir des compromis, dit orientation générale – un accord politique définissant le mandat de négociation du Conseil en vue des négociations interinstitutionnelles (trilogues) avec le Parlement et la Commission –, pour la plupart des initiatives du paquet. Si la France s’était fixée des objectifs ambitieux, l’agenda s’est vu considérablement bouleversé et nombre d’échéances fixées se sont avérées difficiles à tenir. Ainsi, après six mois de présidence française, quel bilan tirer de cette PFUE dans la mise en œuvre des nouveaux objectifs climatiques de l’UE ? Quel legs transmet-elle à ses homologues tchèques ?
Un marathon à l’objectif 55
La PFUE s’est clôturée par un mois de juin aux allures de marathon avec les dernières réunions des ministres européens à Luxembourg se succédant pour tenter d’arrêter la position du Conseil sur des dossiers stratégiques dans les secteurs de la mobilité, de l’énergie et du climat. Si la tâche n’était déjà pas simple, elle s’est avérée d’autant plus complexe que les négociations se sont déroulées dans l’urgence de la crise géopolitique et économique majeure qui frappe l’Europe. Par ailleurs, suite à des élections législatives tumultueuses où le revers essuyé par la majorité présidentielle a résonné jusqu’à Bruxelles, la France se devait de maintenir une position forte afin que l’autorité de son chef d’État pro-européen ne soit pas ébranlée. En ce sens, un échec dans les négociations sur les initiatives du paquet climat aurait sonné comme une défaite de plus pour le président de la République à la suite de sa réélection.
La France a donc tenu à maintenir ses engagements quitte à imposer un calendrier draconien aux négociateurs et experts des États membres, multipliant les heures de travail et les discussions en amont des échéances fatidiques. L’exemple le plus marquant figure certainement dans la réunion des ministres européens de l’Environnement du 28 juin, prévoyant le vote de compromis pour pas moins de sept initiatives du paquet Fit for 55. Seulement, à quelques heures de la réunion, de nombreux points restaient à finaliser, obligeant les équipes de la PFUE à redoubler d’efforts pour proposer de nouvelles options et arrangements aux délégations des États membres. Les négociations entre les ministres ont ensuite duré près de dix-sept heures, jusqu’à très tôt au matin du 29 juin, pour finalement parvenir à un accord politique in extremis sur chacune des initiatives.
Finalement, la PFUE et le paquet climat c’est : des centaines d’heures de négociations, des dizaines de propositions de compromis, douze orientations générales sur treize possibles, plusieurs mains d’applaudissements, et un sentiment de travail accompli et de vacances estivales bien méritées. À travers ces adoptions, la France a réussi à réaffirmer son rôle de moteur d’une Europe qui aspire à être à l’avant-garde de la transition écologique.
Des compromis, mais à quel prix ?
Perturbée par un calendrier national chargé, entre élections présidentielles et législatives – mettant par ailleurs en évidence une tendance à l’euroscepticisme grandissante en France –, et bousculée par les crises géopolitiques et économiques qui touchent l’Europe, la PFUE a tout même su maintenir le cap sur son agenda européen et a réussi son pari osé d’adopter une orientation générale pour la quasi-totalité des initiatives du paquet climat. Elle a notamment décroché un accord en un temps record – mais très général –, sur le Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’UE, dit “taxe carbone”, qui figurait en haut de la liste de ses priorités. À noter également, plusieurs autres positions adoptées pour des initiatives clefs des objectifs de la PFUE, comme le règlement “batterie” ou le règlement sur la “déforestation”. Des initiatives visant également à promouvoir des solutions plus durables hors des frontières de l’UE, chez nos partenaires commerciaux internationaux.
Confrontée au conflit en Ukraine, la France a dû composer avec le nouvel objectif du plan REPowerEU de la Commission européenne de garantir l’indépendance énergétique de l’UE. Une ambition s’inscrivant dans le programme de la PFUE, qui avait pour but de renforcer la souveraineté de l’Europe et son autonomie stratégique. Dans un rôle de médiateur qu’elle affectionne tout particulièrement, la présidence française a mené des négociations éclair sur la proposition de règlement visant à garantir la sécurité de l’approvisionnement en gaz pour les prochains hivers.
Néanmoins, si les compromis politiques sont là, le sont-ils véritablement en substance ? Certains États membres ont fait savoir leur frustration, multipliant les déclarations communes pour exprimer leur désaccord sur des aspects précis des accords négociés par la présidence française, notamment sur la réforme du marché carbone ou la révision de la directive sur les énergies renouvelables. Il est bien entendu naturel que des dissensions émergent entre les Vingt-Sept, en particulier sur des dossiers ambitieux visant à réformer nos activités en profondeur. Cependant, les prises de position de certaines délégations européennes laissent présager des revirements uniques lors des négociations interinstitutionnelles avec le Parlement européen et la Commission européenne, où certains États pourraient renverser l’orientation générale pour pousser des engagements plus ou moins élevés en fonction de leur agenda national.
Conséquences et legs d’une présidence conduite avec détermination
Si les négociations interinstitutionnelles s’annoncent délicates, elles le seront d’autant plus que les États membres n’ont pas défini clairement leur position commune sur certains dossiers, notamment concernant les initiatives du domaine de l’énergie. La présidence française a décidé de ne pas intégrer dans ses compromis les objectifs rehaussés présentés dans le cadre du plan REPowerEU de la Commission européenne, préférant fermer les yeux devant de nouvelles mesures risquant de perturber des accords déjà difficilement décrochés, et laissant cette tâche périlleuse aux négociateurs tchèques. Ceux-ci retrouveront dans quelques mois leurs homologues du Parlement européen, aux ambitions bien plus élevées.
Un point d’attention devra être mis sur la réforme du marché carbone, ou système d’échange de quotas d’émission de l’UE (EU ETS). Si la France s’était exprimée contre une extension aux secteurs du bâtiment et du transport routier, le compromis trouvé a tout de même validé cette extension. Dès lors, nous pourrions assister à un paradoxal scénario dans lequel la France s’opposerait à un compromis qu’elle aurait elle-même défendu.
Privilégiant la quantité de compromis adoptés, on peut se demander s’il n’aurait pas été plus judicieux de confier certains dossiers à la présidence tchèque afin d’obtenir, à terme, des accords politiques plus solides et complets. À cet égard, que restera-t-il de cette présidence française et que retiendrons-nous dans plusieurs années ? S’agira-t-il de sa capacité à faire passer un paquet législatif sans précédent qui témoigne des grandes ambitions de l’Europe en matière de politique climatique, ou plutôt de son manque de flexibilité dans ses approches générales ? In fine, la capacité de la France à s’adapter aux exigences des États membres et aux crises extérieures, ainsi que ses efforts et sa persévérance pour maintenir le cap sur les objectifs climatiques de l’UE auront sans nul doute été le leitmotiv de cette présidence du Conseil de l’UE.
Mathieu Meunissier, conseiller