Les Français n’avaient pas renoué avec la politique à l’issue d’une campagne présidentielle jugée atone. Le niveau d’abstention record lors des deux tours l’atteste. La campagne législative, sans surprise, ne paraît pas mobiliser davantage. La faute à qui ?
Pour des raisons différentes et à partir de stratégies parfois radicalement opposées, les forces politiques n’ont une nouvelle fois pas suscité l’intérêt des Français pour un scrutin qui, pourtant, détermine les orientations du gouvernement responsable devant le parlement.
Emmanuel Macron, fraîchement réélu, a pris le pari risqué que son bloc composé d’un tiers de l’électorat ne lui fera pas défaut les 12 et 19 juin prochain. Il s’agit incontestablement d’un pari payant jusqu’à présent grâce à la jonction de deux franges de l’opinion : celle des électeurs de centre droit conquis par un Président de la République réformateur et libéral, capable d’incarner la France sur la scène internationale d’une part, et celle des électeurs d’une gauche de gouvernement restés orphelins faute d’offre alternative sur cet espace politique d’autre part. A chacune des élections nationales à deux tours depuis 2017, la coalition autour du candidat, puis du Président Emmanuel Macron a bénéficié du mode de scrutin majoritaire pour se maintenir au pouvoir grâce à sa position centrale sur l’échiquier politique et sa capacité à rejeter vers les extrêmes les oppositions. Respectant l’adage, “gagner une nouvelle élection, c’est ne pas perdre les électeurs de la précédente”, “Ensemble”, la coalition des partis ayant vocation à former la future majorité présidentielle, ne prend aucun risque et semble vouloir enjamber la campagne.
À rebours de cette stratégie, Jean-Luc Mélenchon, fort de son bon score à la Présidentielle fait des législatives un référendum pour ou contre son arrivée à Matignon dans une configuration de cohabitation assumée. Une hypothèse peu probable, mais qui s’appuie sur une coalition inédite sous la Vème République allant de l’extrême gauche au parti socialiste. On peut imaginer sans peine l’effet démobilisateur des candidatures uniques NUPES autour de gauches irréconciliables, sauf pour sauver quelques sièges à l’Assemblée nationale.
Prenant le contrepied du leader de la France Insoumise, Marine Le Pen a pris, quant à elle, le curieux parti de ne pas jouer la victoire. Message pour le moins peu mobilisateur que celui de refuser de “partir au combat” sans viser l’objectif de la victoire finale!
Au-delà des stratégies conjoncturelles des forces politiques, les institutions de la Vème République telles qu’elles ont évolué depuis l’inversion du calendrier électoral et la réforme du quinquennat après le référendum de 2000 sont également responsables de la démobilisation probable des électeurs. Le scrutin des législatives est désormais l’ombre portée des élections présidentielles. Ce sont des élections secondes qui reçoivent leur logique de fonctionnement de l’élection matrice qu’est l’élection présidentielle. Il est par conséquent hautement improbable que le Président soit contraint à la cohabitation appelée de ses vœux par Jean-Luc Mélenchon.
Les sondages confirment cette tendance. Les différentes projections réalisées s’accordent sur le scénario d’une majorité pour « Ensemble », la coalition regroupant les partis en soutien du Président de la République. C’est en revanche sur l’amplitude de cette majorité que les analyses divergent de manière assez significative. L’hypothèse basse d’une majorité relative n’est en effet plus écartée. Si le seuil des 289 députés n’était pas atteint, il faudrait pour Emmanuel Macron aller au mieux débaucher quelques députés isolés prêts à le rallier, au pire négocier un accord de gouvernement probablement avec un groupe LR, certes atrophié, mais jouant un rôle de pivot.
Cette dernière configuration serait d’autant moins confortable pour le président de la République que la perspective de voir le sous-groupe de la majorité “Horizon” prendre le parti de la fronde n’est pas exclu au fur et à mesure que l’exercice du pouvoir entamera la confiance des Français à l’égard du gouvernement.
Paradoxalement, cette campagne atone s’inscrit dans un contexte de retour du politique dans la société. Celui-ci s’articule autour de la peur du déclassement de la nation et du délitement de l’Etat, une idée exprimée jusqu’alors d’abord à l’extrême droite et à droite. Elle s’exprime maintenant également à gauche à travers la crainte d’une disparition des services publics : les services d’urgence dans des grandes villes ferment ; l’Académie de Versailles organise des recrutements en speed dating parce que les concours de l’Education nationale ne sont plus attractifs ; des policiers sont recrutés à 6/20… Ce paysage en arrière-plan de ce qui fait office de campagne des législatives est un terreau favorable à la reconstruction de la gauche, que Jean-Luc Mélenchon tente d’exploiter en incarnant, dans un remake de la campagne de François Mitterrand en 1981, le slogan « changer la vie ».
Or, ce terrain n’est pas celui d’Emmanuel Macron et de la majorité présidentielle. Le Président de la République a été élu et réélu sur sa capacité à être pragmatique et efficace dans un environnement politico-administratif dont il a sciemment organisé la dépolitisation autour du “et de droite et de gauche”. Elisabeth Bornes, jamais adoubée par le suffrage universel et bien que venant des rangs de la gauche, en est somme toute le symbole.
La séquence des incidents du Stade de France en marge de la finale de la Champions League est symptomatique du moment politique que nous vivons. Chacun est venu plaquer ses propres angoisses dans ce qui aurait pu n’être qu’un fait divers et est devenue une quasi affaire d’Etat. L’électorat de droite y a vu la confirmation d’un État incapable de garantir l’ordre. L’électeur de gauche y a vu la confirmation d’un Etat autoritaire, voire totalitaire. Le Stade de France est devenu la rencontre de toutes les angoisses identitaires avec une résonance non seulement nationale, mais également internationale, car les interrogations quant à la capacité de la France à organiser les Jeux Olympiques de 2024 ont dépassé nos frontières. En filigrane, c’est le sentiment de déclassement de la France qui pourrait être réalimenté par cet épisode.
Cette crise est aussi peut-être le révélateur d’un point faible d’Elisabeth Borne qui n’est pas apparue frontalement dans les médias pour la désamorcer, faire œuvre de pédagogie et, en un mot, faire de la politique. Il n’est enfin pas certain que la stratégie d’Emmanuel Macron de prendre le gouvernement comme paratonnerre sur cette polémique tienne au-delà des législatives, tant elle pourrait avoir marqué l’esprit des Français… et donc des électeurs.
Julien Pontier, Directeur général adjoint