Cette tribune a été publiée initialement dans Les Echos
Les créateurs de la Super Ligue ont annoncé ce mercredi qu’ils allaient « reconsidérer les étapes les plus appropriées pour remodeler le projet ». En se mettant à dos le monde du football – et au-delà – en 48 heures, la Super Ligue a été enterrée aussi subitement qu’elle était sortie de terre.
Le projet de ligue fermée est le serpent de mer que les grands clubs européens agitent depuis une décennie pour pousser l’UEFA – l’instance du foot européen – à mieux valoriser les compétitions. L’évocation de la création de cette Super Ligue se faisait de plus en plus pressante ces derniers mois. Deux raisons à cela : peser dans la dernière ligne droite des négociations entre les clubs et l’UEFA sur la refonte du modèle de la Ligue des champions et de la Ligue Europa. Et compenser les pertes abyssales liées à la crise sanitaire, qui n’épargne les finances d’aucune équipe.
Considérons que la volonté de voir aboutir ce projet est sincère – les risques sur l’image des clubs rebelles sont trop importants au regard des maigres bénéfices consentis ces derniers jours par l’UEFA. L’absence d’anticipation est un des principaux enseignements de ce fiasco. Il est illusoire de penser qu’un projet aussi ambitieux et excluant que la Super Ligue puisse voir le jour dès 2021 sans un temps de concertation préalable. Plus le projet est susceptible de rallier contre soi, plus il est important de déminer en amont pour espérer aboutir à un compromis.
En voulant prendre de vitesse l’annonce de l’UEFA prévue lundi, les fondateurs de la Super Ligue ont cruellement manqué de sens tactique. La solution la plus évidente eût été de faire valoir leur désaccord avec la réforme et de porter publiquement ce projet alternatif plusieurs mois avant l’annonce, pour contraindre l’UEFA à plus de concessions. Projet contre projet, argument contre argument. Les dirigeants auraient pris le temps d’expliquer la philosophie de la Super Ligue, de riposter à la désinformation et de rallier plus largement à eux. Pour ensuite converger ou non avec la réforme portée par l’UEFA.
Ce qui frappe dans cet échec, c’est la vitesse avec laquelle la Super Ligue a réussi à rassembler contre elle, et à se disloquer. Aux détracteurs évidents de ce projet – les instances nationales, l’UEFA, 95 % clubs européens exclus – se sont ajoutés les supporters, les joueurs et les entraîneurs de certains clubs frondeurs. Sur le papier, il s’agissait pourtant d’alliés en puissance : tous aspirent aux grandes affiches, tandis que l’augmentation des recettes ne peut avoir qu’un impact positif sur les salaires et primes des équipes. Avoir Pep Guardiola, Lionel Messi ou Cristiano Ronaldo en tant qu’ambassadeurs du projet ne change rien à son caractère clivant, mais offre des relais de choix pour porter la campagne d’influence.
Encore faut-il prendre le temps de les convaincre, avec les bons arguments. « Nous n’avons pas su bien l’expliquer », admettait mercredi soir le président du Real Madrid Florentino Perez. Difficile de lui donner tort. Quand ce dernier se drapait dans le rôle larmoyant de sauveur du football et jouait la carte de la théorie du ruissellement, son homologue de la Juventus Andrea Agnelli sortait la bombe A : « le football n’est plus un jeu, mais un secteur industriel ». En niant les fondements même du ballon rond, le dirigeant accélérait la descente aux enfers du projet.
S’il est difficile d’évaluer toutes les conséquences de ce fiasco pour les clubs concernés, leur réputation est impactée. Cette fronde a renforcé le sentiment de défiance des plus petits contre les plus gros, comme le démontrent les manifestations de supporters en Europe ces derniers jours. Elle a également fragilisé les dirigeants, qui ont confondu leur vision avec celle de l’institution. Ils semblent plus que jamais isolés dans leur club et au sein des instances européennes, qui se sont réorganisées autour de nouvelles figures de proue, Nasser Al Khelaïfi, le président du PSG, en tête. L’UEFA ne sort pas pour autant grandie de ce fiasco. En s’aliénant 12 des plus grands européens, elle a montré son incapacité à réconcilier le jeu et le secteur industriel. Le chantier qui s’ouvre est immense.