La nouvelle coalition allemande constituée des sociaux-démocrates du SPD, des Verts et des libéraux du FDP est parvenue à trouver un accord pour gouverner ce qui est aujourd’hui la première puissance économique de l’Union européenne. Effectivement, le 24 novembre, les trois formations politiques se sont accordées sur une ligne de conduite ainsi que leurs priorités dont le mot d’ordre est le progrès.
Ainsi, après avoir gouverné pendant 16 ans, Angela Merkel, figure devenue incontournable dans le paysage politique européen ayant connu 4 présidents français, tire sa révérence afin de laisser place à un nouveau chancelier, Olaf Scholz et un nouveau slogan : “Oser plus de progrès. Alliance pour la liberté, la justice et la durabilité”.
L’ancien vice-chancelier sera investi devant le Bundestag début décembre et aura la délicate tâche d’assurer l’ère post-Merkel dans un contexte politique complexe qui demandera toujours plus de compromis à l’aune d’une coalition inédite qui couvre un spectre politique large.
Qualifié d’austère, Olaf Scholz est un ancien ministre des Finances connu pour sa rigueur et sa sobriété, cultivant au passage des similarités avec Angela Merkel. Seulement, il apparaît évident que “faire du Merkel” dans un gouvernement qui n’est pas pleinement acquis à sa cause ne suffira pas. C’est un numéro d’équilibriste qui attend Olaf Scholz qui va devoir séduire tout un pays à la tête d’un gouvernement éclectique et ce en pleine crise européenne de l’énergie. En ce sens, l’enjeu principal pour le nouveau chancelier et la nouvelle coalition sera de se forger une légitimité suffisamment solide pour assurer la continuité de l’Allemagne dans son rôle de leader européen. Si l’Europe est rassurée de voir que l’un de ses membres fondateurs ne reste pas trop longtemps sans personne à sa tête, l’Allemagne va-t-elle garder la même boussole et les mêmes références auprès des autres Etats membres ?
Historiquement, l’Allemagne a construit son rôle prépondérant au sein de l’Europe autour d’une matrice de valeurs qui sont : une géographie européenne propice à son rayonnement, des valeurs chrétiennes au centre de sa politique, la force du droit ancré dans tout appareil étatique et, finalement, le fédéralisme. L’affirmation ou la négation de ses valeurs aura nécessairement un impact sur les relations de l’Allemagne au sein de l’UE, notamment au moment où l’Europe orientale est gangrenée par le populisme et que les velléités de sortie de l’Europe de certains se font toujours plus entendre. Cette phase de transition sera d’autant plus épineuse que, comme sous-entendu auparavant, Olaf Scholz ne dispose pas de la légitimité dont disposait Angela Merkel ou du soutien politique, quasi populaire, dont pouvait bénéficier l’ancienne chancelière.
Le nouveau gouvernement fait ainsi la promesse de définir les intérêts allemands à la lumière des intérêts européens. Ce vœu pieux, s’il est suivi d’effet, pourrait marquer un tournant de l’ère post-Merkel. Si l’on peut mettre au crédit de la chancelière un bond sans précédent dans la construction européenne, avec un plan de relance européen fondé sur un endettement commun de l’Union, cette mue européenne n’est arrivée que sur le tard, alors que l’Allemagne de Merkel défendait traditionnellement ses intérêts propres, parfois au détriment de ses partenaires européens.
Pour ce qui est de la gouvernance de l’Union européenne, la nouvelle coalition affiche des objectifs ambitieux, appelant à former une convention constituante afin de réformer les traités et tendre vers un État fédéral européen. De nombreuses propositions de réformes institutionnelles sont ainsi avancées, toutes ayant pour effet de renforcer les institutions communautaires, au détriment d’un processus intergouvernemental qui caractérise encore nombre de domaines de décisions. Le cas de la politique étrangère, chasse gardée traditionnelle d’États souverains sur la scène internationale, fait ainsi figure d’exemple, puisque la coalition propose de remplacer la prise de décision à l’unanimité, par des votes à la majorité qualifiée, et de doter l’Union d’un véritable ministre des affaires étrangères.
De même, le rôle du Parlement européen se verrait ainsi renforcé, à travers un droit d’initiative aujourd’hui exercé, dans les faits, par la seule Commission européenne, ainsi que des élections européennes sur listes transnationales, dont les figures de proue, les Spitzenkandidaten, seraient candidates à la présidence de la Commission. La motivation sous-jacente de ces propositions est un renforcement du processus démocratique européen, et surtout, la création d’une sphère publique européenne, dont les élections ne seraient plus la somme de 27 élections nationales, mais bien une élection paneuropéenne sur des thèmes communs. L’ambition fédéraliste affichée par la coalition tranche cependant avec l’évolution récente des institutions européennes : ainsi, aucun des Spitzenkandidaten issus des dernières élections n’a pris la présidence de la Commission, et surtout, le Parlement européen n’a-t-il pas lui-même refusé de constituer une liste transnationale pour remplacer les sièges vacants des eurodéputés britanniques ? Le risque que ces volontés restent lettre morte est donc réel.
Un autre marqueur notable de l’ère post-Merkel annoncé par la coalition peut être décelé dans la fermeté affichée sur le respect des valeurs européennes et de l’état de droit. Alors que la chancelière a souvent fait face à des procès en complaisance sur ces sujets, l’accord gouvernemental soutient que les plans de relance des États membres n’obtiendront l’aval allemand que si l’indépendance de la justice est assurée. C’est-là une menace à peine voilée à l’égard des voisins polonais et hongrois, entraînés de longue date dans une surenchère illibérale, et dont les plans de relance restent en suspens.
La montée en puissance des verts allemands et de leurs positions pourrait également se faire sentir sur le continent, et renforcer la priorité politique de la Commission Von der Leyen qu’est le Pacte vert. La création d’un nouveau ministère pour l’économie et le climat illustre bien le changement de paradigme que la coalition veut mettre en scène : le climat et l’environnement sont désormais des considérations transversales décloisonnées qui se retrouveront dans l’essentiel des décisions gouvernementales. Les conséquences pour les négociations européennes, peuvent être de taille, alors que la coalition a déjà annoncé que le prochain poste de Commissaire européen reviendrait aux verts.
Partisane d’une méthode de décision communautaire, qui donnerait plus de poids aux institutions européennes, la nouvelle coalition ne pourra tout de même pas totalement se défaire de l’intergouvernementalisme qui caractérise la prise de décision stato-centrée de l’Union européenne. Là encore, un subtil équilibre devra être trouvé pour ne pas froisser les Etats membres qui rêvent d’une Union européenne forte sur la scène internationale et guidée par une poignée de puissances, avec en premier lieu, la France.
Aussi, il est indéniable que cette nouvelle coalition pose la question des relations au sein du duo franco-allemand, devenu incontournable en Europe. Effectivement, Angela Merkel assurait une forme de constance dans les relations entre les deux puissances et il revenait aux différents présidents français de s’adapter, désormais les deux Etats devront s’apprivoiser à nouveau. L’enjeu est donc de taille pour les deux puisqu’il s’agit de ne pas perdre de poids dans les négociations interétatiques.
Seulement, cette nouvelle coalition souhaite désormais être force de propositions et à l’initiative au sein de l’Europe, changement radical dans la posture allemande qui gouvernait et arbitrait surtout en réaction par le passé et il est difficile de savoir comment la France accueillera ce changement d’approche. D’autant plus que les priorités affichées par la coalition allemande comme la simplification du Pacte de stabilité, et non une réforme en profondeur, et la mise en place de listes transnationales pour les élections de 2024, ne sont pas toutes au goût de la France. De même, la coalition poursuit l’ambition allemande d’une extension géographique de l’Union européenne en s’ouvrant aux pays des Balkans, alors que la France continue, elle, d’observer d’un œil inquiet un agrandissement sans approfondissement de l’Union.
Autre point de désaccord possible entre les deux Etats membres pourrait être le Brexit. Alors que la France est enlisée dans des négociations ardues avec leur voisin d’outre-manche sur les questions liées à la pêche et à l’immigration, la nouvelle coalition allemande a décidé de réaffirmer l’importance des relations entre les Royaume-Uni et l’UE. Ainsi, ils y voient l’opportunité de définir un agenda politique et géopolitique ambitieux avec les britanniques. Fort d’une volonté d’intégration et de coopération à l’échelle régionale, l’Allemagne appelle à la stricte application des traités convenus afin de d’exploiter au mieux les possibilités politiques qui s’offrent à nous. Dans ce contexte, l’Allemagne peut jouer un rôle clé en vue de d’entamer la désescalade des tensions entre le Royaume-Uni et la France
Néanmoins, si des divergences émergent, il ressort tout de même que les deux puissances sont alignées sur la volonté de renforcer la souveraineté stratégique de l’UE dans des domaines clés comme l’énergie et la santé. Par ailleurs, Olaf Scholz a réaffirmé que la France est un de leurs partenaires privilégiés, il se rendra donc traditionnellement à Paris lors d’une visite anticipée qui s’annonce aussi courtoise que stratégique. Finalement, Olaf Scholz ayant été ministre des Finances sous l’ère Merkel, il avait pour habitude de traiter directement avec Bruno Le Maire et Emmanuel Macron. Ainsi, il conviendra désormais de voir quels signaux enverra la France à l’Allemagne au cours de sa présidence de l’Union à partir de janvier 2022. Effectivement, cette période devrait être révélatrice si des rééquilibrages politiques sont à prévoir, il est peu probable que la France et l’Allemagne se privent de l’une et de l’autre.
Valentin Hoyez
Conseiller au pôle EUPA