PFUE, Présidence tournante du Conseil : de quoi s’agit-il ?

Depuis le 1er janvier 2022, la France occupe la présidence tournante du Conseil, charge qu’elle occupera durant tout un semestre, jusqu’au 30 juin de cette année. 

Le Conseil, qui représente les États membres et négocie les textes législatifs européens au même égard que le Parlement européen, a à sa tête une présidence tournante, exercée tous les six mois par un nouvel État membre. Dans une Union à 27, un État exerce donc cette fonction tous les 13 ans. Au-delà de  l’organisation interne de l’institution (établissement du calendrier des réunions, définition des agendas et organisation des négociations internes), la présidence représente les États membres dans leur ensemble face aux autres institutions européennes, et joue ainsi un rôle clé dans les négociations législatives avec le Parlement et la Commission. C’est notamment dans ces négociations institutionnelles que se déploie l’importance de ce rôle, puisqu’une présidence peut avancer davantage sur certains points, se montrer intransigeante sur d’autres, et influer plus que d’accoutumée sur l’issue des négociations.  Si chaque État établit un programme politique pour l’exercice de sa présidence, il faut cependant tempérer son importance, puisque les dossiers dont ils héritent sont déjà largement engagés dans le système institutionnel dont les décisions politiques s’étalent sur des années.

Sans pouvoir définir un nouveau cap politique tous les six mois, ce qui risquerait de paralyser l’UE, le pays exerçant la présidence peut cependant utiliser cet exercice pour avancer sur certaines priorités, peser de tout son poids sur les négociations entre États membres – puisqu’il en devient la pièce centrale – et montrer aux partenaires européens et à ses citoyens la place qu’il tient en Europe.

En effet, la charge symbolique de la présidence ne saurait être sous-évaluée : la règle de vote au Conseil favorisant mécaniquement les pays les plus peuplés de l’Union, la présidence, bien qu’elle place temporairement un État au centre du jeu institutionnel, ne peut faire de lui la voix la plus importante du Conseil. Par certains aspects, l’exercice de la présidence revêt davantage les atours d’une responsabilité honorifique, permettant à celui qui l’exerce de prouver à ses partenaires son efficacité et son sérieux, et à ses citoyens sa vision européenne et son importance dans le système institutionnel.

 

Les priorités très françaises de la PFUE

La PFUE a ainsi été célébrée en grande pompe dès son commencement le 1er janvier, la France décidant de parer plusieurs de ses monuments phares des couleurs de l’Europe. Cependant, c’est réellement le discours d’Emmanuel Macron devant les députés européens réunis à Strasbourg ce 19 janvier qui devait sonner le début de cette présidence. Ce fut l’occasion pour Emmanuel Macron de présenter aux eurodéputés, les co-législateurs avec le Conseil qu’il préside, les priorités et les ambitions de la France pour le semestre à venir.

Parmi les nombreux dossiers érigés au rang de priorités de la France, on notera premièrement le Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. Cette taxe carbone sur les importations en Europe est un combat de longue date des gouvernements français, inquiets de voir les productions européennes être désavantagées par des normes exigeantes sur le plan environnemental sans que de telles exigences ne s’appliquent aux productions de pays tiers. À contre-courant de la conception d’une Europe de marché, très dominante dans l’histoire récente de l’Union, cette taxe carbone aux frontières a finalement été proposée par la Commission européenne en juillet dernier. Il s’agit là d’une véritable victoire idéologique dont la France peut s’enorgueillir, et que le Président Macron a hissé au statut de dossier climatique prioritaire. Un accord politique sur ce vieux serpent de mer de la vision française de l’Europe signalerait une véritable victoire européenne pour Macron, victoire d’autant plus bienvenue alors que se joue sa potentielle réélection.

Dans le domaine numérique également, c’est la vision française des géants économiques que Macron appelle de ses vœux. Nombre de nos partenaires européens sont sceptiques des soit-disant géants européens, puisque cela revient souvent à laisser les “gros” – Allemagne et France – rafler la mise. Les deux textes prioritaires du numérique, le Digital Markets Act (DMA) et le Digital Services Acts (DSA), devront ainsi permettre à l’Europe de soutenir l’émergence de champions européens du numérique d’une main, et de protéger les citoyens, utilisateurs de plateformes digitales, de l’autre. 

La démocratie et les droits des citoyens  ont justement occupé une place prépondérante dans l’allocution au Parlement européen. Rappelant son soutien pour l’introduction d’un droit d’initiative législative au Parlement européen – la Commission en détient le monopole actuellement – Emmanuel Macron a également insisté sur l’état de droit, dont la situation s’est nettement dégradée en Europe, et la reconnaissance nouvelle à l’échelle européenne de droits fondamentaux, tels que l’accès à l’avortement. Derrière ces vœux pieux de renouveau démocratique, c’est bien la Conférence sur l’avenir de l’Europe qui est en ligne de mire. Cette conférence, qui avait trouvé son origine justement dans les aspirations du président français, devrait se conclure en mars, au terme de deux ans de débats. Fort du soutien de la nouvelle coalition gouvernementale allemande, qui a inscrit dans son accord de coalition la traduction de cette conférence par une réforme institutionnelle, le Président a lui aussi évoqué des réformes institutionnelles, dans une Europe fonctionnant péniblement à 27 qui pourrait être appelée à s’élargir. 

 

L’éclipse de la PFUE au bénéfice de la présidentielle française

Malgré cet agenda singulièrement européen, l’allocution du Président Macron devant le Parlement européen a rapidement viré en débat de premier tour de l’élection présidentielle française. Et pour cause, nombre d’opposants politiques au Parlement européen – citons à ce titre Yannick Jadot, Manon Aubry et Jordan Bardella – ont profité de cette tribune unique pour dresser le bilan du quinquennat d’Emmanuel Macron, dans un règlement de comptes franco-français qui a désarçonné une bonne partie de l’hémicycle. 

Dès les premiers pas de cette PFUE, se matérialise ainsi ce que les observateurs avaient pressenti : dans un contexte où l’élection présidentielle française monopolise tout l’espace public français, la PFUE fera les frais de la campagne. Comment peut-il en être autrement, alors que cette échéance électorale donne le la tous les cinq ans de la vie publique française, et érige au centre du système politique français une figure aux pouvoirs aussi étendus ?

En écartant la possibilité de modifier le calendrier de cette présidence tournante, qui devait coïncider avec l’élection présidentielle depuis le départ du Royaume-Uni, Emmanuel Macron a fait le pari du clivage européen qui lui avait offert la victoire en 2017, pour mettre en scène son action européenne, et peser dans sa ré-élection. Faire campagne sur la PFUE entraîne cependant la conséquence mécanique de la confiscation du débat européen pour un débat franco-centré.

C’est exactement la démonstration qu’a faite la France devant ses partenaires européens durant la plénière de Strasbourg, les différentes sensibilités politiques procédant à un réglage de comptes en bonne et due forme avec le Président. S’il est encore trop tôt pour prédire l’impact qu’aura la PFUE sur le scrutin français, nous pouvons cependant dès à présent mesurer le poids qu’aura la présidentielle sur la présidence tournante. Le débat présidentiel grandissant crescendo à mesure du rapprochement de l’échéance, la présidence française court le risque de rester éternellement prisonnière des considérations hexagonales. 

Et alors que la France occupe pour la première fois en 13 ans ce rôle central sur la scène européenne, elle offre à ses partenaires un spectacle politique autocentré, éclipsant la dimension européenne inhérente à cet exercice. Le procès en arrogance dont nous faisons souvent les frais en Europe a malheureusement de beaux jours devant lui. 

 

Tiago Carolino

Conseiller au pôle EUPA

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