C’est un séisme politique que ce résultat du second tour des législatives. Contre toute attente, l’élection législative, qui n’était depuis la réforme du quinquennat et l’inversion du calendrier que l’ombre portée de la présidentielle, est devenue pour la première fois l’élection la plus importante. La mutation de la Vème République est une nouvelle fois à l’œuvre. Quelle forme prendra ce nouveau variant ? C’est la question que tous les observateurs de la vie politique se posent. Nos institutions sauront-elles une nouvelle fois s’adapter à la malice des électeurs, qui ont réussi le tour de force d’imposer la proportionnelle, mainte fois promise mais jamais obtenue ? Rien n’est moins sûr.
Le scénario de la coalition des mécontentements, redouté par les partisans d’Emmanuel Macron, ne s’était pas produit au second tour des présidentielles. La crise sanitaire et la guerre en Ukraine avaient congelé la vie politique et anesthésié les électeurs. Le sentiment d’une part que le risque de 3ème guerre mondiale et de conflit nucléaire s’éloigne, d’autre part que la crise sanitaire n’est à tort ou à raison qu’un mauvais souvenir, semble avoir permis de lever le couvercle de la cocotte-minute.
Ce qui s’est passé dans les urnes est très clair : une alliance de toutes les oppositions pour faire tomber les candidats macronistes. Des électeurs venus de la NUPES au 1er tour ont voté Rassemblement National au second en cas de duel avec la majorité présidentielle. Inversement, des électeurs du Rassemblement national ont pu faire le chemin inverse. Clément Beaune et Stanislas Guérini qui présentaient pourtant les mêmes caractéristiques que Christophe Castaner et Richard Ferrand sont les rescapés du naufrage de l’aile gauche de la Macronie, probablement sauvés par l’absence de l’extrême droite à Paris. Partout ailleurs ou presque, les candidats d’Ensemble pris en tenaille par la NUPES et l’extrême droite ont dû faire face à l’effet « casse-noisette ». Les conditions improbables d’une majorité très relative étaient dès lors réunies.
C’est bien la percée du Rassemblement national qui est l’événement politique majeur de cette élection. Avec un groupe composé de 89 parlementaires, soit presque trois fois plus important que celui constitué après les législatives de 1986 organisées à la proportionnelle, se concrétise pour la première fois à l’Assemblée la tripartition de la vie politique française : un bloc central potentiellement compatible avec le groupe LR (car penchant de plus en plus à droite) pris entre deux feux, celui de la NUPES et celui du RN.
L’habileté de la communication de Jean-Luc Mélenchon autour de sa velléité de “déferler” sur Matignon a donné l’impression durant cette campagne, probablement artificiellement, que Marine Le Pen avait été éclipsée jusqu’à perdre son statut de première opposante au Président réélu… Un effet d’optique, car les 19% obtenus par le RN au 1er tour confirmait l’élan de la Présidentielle et la capacité de ce mouvement politique à être le vecteur privilégié du mécontentement des couches populaires frappées par les fractures sociales et territoriales que connaît le pays. Là est certainement l’explication du renforcement de sa présence dans les Hauts-de-France, la Lorraine et la Normandie, d’anciennes terres de gauche souvent marquées par la désindustrialisation. Phénomène nouveau, on le voit désormais apparaître sur la façade Ouest du pays notamment en périphérie des métropoles et dans les zones rurales. La mauvaise gestion des événements du stade de France, qui a conforté l’idée des électeurs les plus à droite d’un Etat pas tenu, a très certainement amplifié la dynamique!
À gauche, la dynamique n’a pas été la même entre les deux tours. Plusieurs raisons à cela : le résultat du 1er tour, en trompe-l’œil, marquait un tassement des voix de gauche. La NUPES était certes un formidable attelage de premier tour pour accéder au second malgré la perte de vitesse de la gauche et donner corps à l’illusion de pouvoir accéder à Matignon. Au deuxième tour, l’absence de réserves de voix et surtout l’écroulement du Front républicain explique la relative contre-performance (151 députés élus) des soutiens de Jean-Luc Mélenchon. Si le pays avait su se mobiliser en faveur d’Emmanuel Macron contre Marine le Pen au deuxième tour de la Présidentielle, il n’en a clairement pas été de même localement aux législatives des électeurs pro-Macron dans la configuration d’un deuxième tour NUPES / RN… plus de 7 électeurs sur 10 sont restés chez eux! La faute aux tergiversations de la majorité présidentielle au soir du 1er tour, mais aussi et peut-être surtout à la radicalisation du discours ces dernières années de Jean-Luc Mélenchon sur la laïcité et son rapport à la police.
L’autre événement de cette soirée électorale, la majorité relative obtenue par la coalition (Renaissance, MoDem et Horizon), était plus attendu. A un point aussi bas en revanche, c’est une grande surprise pour un président réélu il y a moins de deux mois. Toutefois, là encore, le résultat trouve son explication dans les présidentielles, et plus précisément la dernière ligne droite de la campagne des présidentielles, lorsqu’ Emmanuel Macron, happé par la politique internationale et peut-être grisé par des sondages flatteurs, a donné l’impression de ne pas vouloir faire campagne et de ne pas définir un cap pour le nouveau quinquennat. Élu par défaut en avril dernier, et parce qu’il n’a pas su donner du souffle à ce début de mandat, Emmanuel Macron essuie un revers historique pour un président réélu et se retrouve peut-être sans capacité de gouverner durablement.
Nos institutions n’ont pas été pensées en 1958 pour une tripartition de la vie politique. Le scrutin majoritaire à deux tours permettait jusqu’à présent, du moins artificiellement jusqu’en 2017, de bipolariser le débat parlementaire. L’avènement du macronisme et l’entrée en force des députés en Marche en 2017 avaient déjà porté un coup de canif dans le fonctionnement “normal” de nos institutions, mais la majorité absolue obtenue par LREM durant la dernière législature a assuré au gouvernement un parlement relativement docile.
C’est une certitude depuis le deuxième tour des législatives de 2022 : la configuration sera radicalement différente. On se référait à la période 1988/1993 pour illustrer les difficultés de l’exécutif à trouver des majorités d’idées et de circonstances dans le cadre d’une majorité relative. Michel Rocard et ses successeurs n’avaient toutefois à convaincre que 10 députés pour atteindre les 289 voix. C’est aujourd’hui 44 voix qu’il faut aller chercher. L’équation est autrement plus difficile quand Jean-François Copé semble être très isolé dans sa position ouverte quant à la signature d’un contrat de gouvernement “Ensemble – LR”. Il paraît en tout état de cause hautement improbable de voir les 61 députés républicains s’accorder sur une ligne commune, surtout dans un contexte où Wauquiez, possible candidat à la Présidentielle en 2027 peut se sentir pousser des ailes grâce aux “scores hors normes” obtenus dans en Auvergne-Rhône-Alpes avec un gain supplémentaire de quatre députés dans la région.
Dès lors, les prochaines semaines s’annoncent mouvementées pour l’exécutif macronien, entre le départ des ministres et députés LREM battus ce dimanche aux élections législatives et la déclaration de politique générale du gouvernement, prévue le 5 juillet. Avec un défi à relever : obtenir la confiance d’une nouvelle Assemblée nationale aux équilibres politiques bouleversés.
Pour y parvenir, le casting sera déterminant. La constitution du nouveau gouvernement n’aura peut-être jamais été aussi cruciale pour élargir la majorité autant que possible. Il y a fort à parier toutefois que les débauchages individuels ne permettent pas d’atteindre cet objectif. De même, force est de constater qu’Elisabeth Borne, Première Ministre, mais pas cheffe de la majorité, ne présente pas le meilleur profil pour affronter un prochain vote de confiance à l’Assemblée, notamment parce que son passé politique plutôt au centre gauche paraît à contre-courant du verdict des urnes à droite toute! Faudra-t-il lui trouver un remplaçant ? Ce ne semblait pas être l’hypothèse retenue hier soir au regard de la tonalité de son discours.
Le 28 juin, deux échéances importantes attendent la majorité : le poste de Président de l’Assemblée nationale laissé vacant par Richard Ferrand, seul député “ensemble” non réélu dans le Finistère, sera à pourvoir. Le même jour, les groupes politiques devront être constitués avec un autre enjeu majeur : la présidence de la Commission des finances dévolue depuis une quinzaine d’années au principal groupe d’opposition. D’ores et déjà revendiquée par le RN, la désignation du président de cette commission aux pouvoirs étendus devrait donner lieu à une bataille car, comme le RN, l’inter-groupe NUPES, en meilleure position, sera également sur les rangs.
Le vrai test, davantage que le vote de la confiance qui suivra le discours de politique générale les 4 et 5 juillet, devrait surtout être le vote du budget. Faute de majorité, une crise politique pourrait survenir. En dernier ressort, seule la dissolution ou la démission du Président de la République (qui ne peut pas se représenter) sont les voies institutionnelles de résolution de la crise. L’usage de “l’arme atomique” de l’article 12 de la Constitution devrait être brandi régulièrement en début de quinquennat. Il n’est en effet pas certain que Les Républicains aient une folle envie de retourner devant les électeurs trop rapidement car le chemin de la reconstruction sera long. Côté Président de la République, la dissolution est une arme à un coup. En cas de défaite, sa responsabilité politique serait probablement en jeu.
De quoi assurer une coexistence pacifique, au moins entre la majorité présidentielle et le groupe LR. De quoi gagner (un peu) de temps au moins avant le vote du budget cet automne. De quoi se donner assez d’air pour Emmanuel Macron pour trouver la formule d’une refondation de notre vie démocratique fondée sur la recherche du consensus.
À défaut, ce sera une crise de régime, car la majorité absolue a été atteinte par les oppositions !
Julien Pontier
Directeur général adjoint