Le 1er janvier 2022, la France prendra la présidence du Conseil de l’Union européenne et tentera d’y insuffler les objectifs de “relance, puissance et appartenance”. Autour d’un programme concerté avec la République Tchèque et la Suède, la France endossera la responsabilité de faire progresser l’agenda stratégique européen pendant six mois. 

Si cette responsabilité constitue une opportunité clé de renforcer le poids politique de la France au niveau européen, elle représente également un défi de taille à l’heure où la campagne pour les élections présidentielles atteindra son paroxysme.

 

Faire de la présidence française l’opportunité de faire aimer l’Europe aux citoyens français 

 

Cette volonté de faire comprendre et apprendre l’Europe aux citoyens n’est pas nouvelle. Emmanuel Macron a été élu en 2017 avec le projet clair de faire progresser le projet européen et de placer la France comme l’architecte de l’Europe de demain. Multipliant les initiatives autour de la citoyenneté européenne durant son mandat, il n’a cessé de placer l’UE au cœur de son discours et de son ambition. 

Pourtant, le désintérêt, voire la méfiance, des citoyens français à l’égard de la construction européenne demeure forte. Selon l’Eurobaromètre, en 2020, 57% des français déclaraient ne pas avoir confiance en l’Union européenne. La Présidence française, au-delà des enjeux géopolitiques et politiques qu’elle représente, constitue donc un défi démocratique. C’est dans ce contexte que la France a d’ores et déjà formalisé son implication dans la présidence en lançant officiellement ce 9 mai la Conférence sur l’avenir de l’Europe, futur acte citoyen majeur du mandat de la France à Bruxelles.

Si les élections régionales sont identifiées comme un ultime test avant les élections présidentielles, Emmanuel Macron disposera d’une dernière carte à abattre pour faire rebondir sa campagne et convaincre les électeurs : la présidence de l’Union européenne.

 

La présidence de l’UE et la campagne présidentielle, quelle articulation ?

 

Dès son investiture en mai 2017, Emmanuel Macron se présentait déjà comme un président européen, entrant dans la cour du Palais du Louvre aux sons de l’Ode à la joie, l’hymne européen. Face à Marine Le Pen, opposée frontalement à l’approfondissement du projet européen, il a été positivement accueilli par ses homologues européens, avec la promesse de ramener un souffle nouveau sur l’Europe. Le 1er janvier 2022, Emmanuel Macron deviendra à la fois président de la France et “président” de l’Europe.

Si certains craignent que conduire à la fois une campagne présidentielle et une présidence européenne constitue un risque d’éparpillement, Emmanuel Macron estime au contraire qu’il s’agit d’un atout. Mais est-ce que cette figure de président pro-européen sera déterminante pour convaincre l’électorat français ? Au sortir de la crise sanitaire, de nombreux dossiers vont émerger avec en ligne de mire la conduite d’un plan de relance colossal et des ambitions climatiques inédites. Si Emmanuel Macron voit cette concomitance des agendas comme un avantage, c’est l’électorat français qu’il faudra convaincre, ce qui sera plus difficile depuis Bruxelles. 

 

Double présidence, un risque pour l’Union européenne ?

 

Cette présidence marquera la campagne du candidat Macron, qui pourrait  utiliser la scène européenne comme caisse de résonance pour mai 2022. À Bruxelles, il pourra s’engager sur des dossiers clés comme le climat et le numérique, tout en intensifiant ses apparitions publiques et ses communications. Mais jusqu’où pourra-t-il se le permettre ? Quelques mois après le début de la présidence française, le président sortant devra se recentrer sur les enjeux nationaux, quitter Bruxelles pour Paris, pour ne pas perdre l’Elysée, et avec lui les derniers mois à la tête de la présidence européenne. 

En refusant de reporter la présidence française, Emmanuel Macron a choisi d’utiliser la scène européenne pour peser dans sa réélection. Les institutions de la cinquième république sont telles que la figure centrale du président règne sur le jeu politique, et son élection tous les cinq ans rythme le cycle électoral et le porte à son paroxysme. Dans ce contexte, difficile de croire que la présidence de l’UE ne fera pas l’objet d’une récupération politique ou d’une instrumentalisation des dossiers, au détriment d’une présidence du Conseil apaisée. L’européanisation de la campagne présidentielle fera sans doute place à la francisation des enjeux européens sur une scène européenne marquée par les ambitions politiques françaises.

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Les grandes priorités de la présidence française, quel agenda en période électorale ?

 

Pour tout pays détenant la présidence du Conseil, cette rare parenthèse permet également de promouvoir l’action et la vision européenne du gouvernement auprès de ses partenaires. Bien que les priorités de la présidence française n’aient pas encore été formalisées, les thématiques fortes qui seront portées sont déjà connues et incarnées dans la devise “Relance, puissance, appartenance”.

Contexte économique oblige, la France fait de la relance une priorité. Si les négociations de certains dossiers liés à la relance économique tomberont sous sa présidence, telle que l’introduction de nouvelles ressources propres de l’UE, le plan de relance européen a lui déjà été négocié. Cependant, à l’aune d’un plan de relance américain titanesque, et d’une prolongation des confinements en Europe, la France porterait désormais l’idée d’un second plan de relance pour la décennie à venir. Dans la continuité de l’agenda européen, la relance devrait notamment mettre à l’honneur les transitions numérique et environnementale.

L’Europe puissance est, de longue date, une vision française de l’UE, considérant le bloc européen comme une manière de s’affirmer sur la scène internationale, dans un contexte où la France se voit reléguée au rang de puissance moyenne face aux géants géopolitiques. Cette vision n’a pas toujours été partagée par nos partenaires, pour certains trop contents de pouvoir compter sur la protection américaine pour approfondir une Europe de marché. Le désengagement américain de la période Trump, la polarisation des relations internationales, et le déclin du multilatéralisme ont depuis inversé la tendance. Alors que la Commission européenne se rêve désormais comme acteur “géopolitique”, et que le concept d’ “autonomie stratégique” infuse les politiques commerciales et industrielles, la France entend utiliser sa présidence pour appuyer l’affirmation de l’Europe comme puissance en tant que telle.

 

La mise en scène du clivage européen comme structuration de la vie politique française

 

Enfin, l’appartenance prend une certaine résonance, alors que l’Europe sort d’années de négociations fratricides sur la sortie du Royaume-Uni, et que l’opposition à l’Union européenne, personnifiée par Marine le Pen en France, menace la réélection du président. Le symbole de l’appartenance sera notamment incarné dans la Conférence sur l’avenir de l’Europe, que la Présidence entend conclure, et que le président Macron avait insufflée. 

Sans nul doute espère-t-on à l’Élysée que l’appartenance à l’Europe se traduira dans les urnes par une réélection du président face à sa première opposante, comme une ré-édition de la campagne de 2017 qui avait finalement opposé approfondissement de l’UE et désengagement.  

Loin d’une simple formalité institutionnelle, la présidence française du Conseil de l’UE jouera donc un rôle certain dans l’élection présidentielle. Concentrant sur elle les grands thèmes de notre époque et les clivages politiques français, elle sera à la fois la vitrine de l’Europe et le reflet de la France sur la scène européenne.

 

Sloan Moreau

Associé, Directeur du pôle affaires publiques européennes

 

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