La crise sanitaire accélérateur de crise politique ?

La crise sanitaire n’a pas inversé les deux tendances lourdes à l’œuvre depuis plusieurs années : le retrait politique des français et l’effacement du clivage Droite / Gauche. Elle les a même renforcées. 

 

Le retrait politique des Français de plus en plus prégnant 

Le phénomène de retrait politique s’est indéniablement renforcé depuis mars 2020. Preuve en est le taux d’abstention record observé lors des élections municipales (55% au 1er tour et 58% au second). Cette défiance à l’égard du politique, qui amène à une véritable « grève civique » est régulièrement confirmée par les enquêtes d’opinions de plus en plus négatives sur le monde politique, sur la démocratie, sur les élections.

L’apparition d’une abstention politique vient s’ajouter désormais à une abstention d’indifférence. La non-participation aux scrutins était le fait de Français trop éloignés du système politique pour s’y intéresser. Depuis une vingtaine d’années, on voit apparaître un abstentionnisme politique qui exprime le malaise des français vis-à-vis de l’offre politique. Ce rejet devient une force politique en tant que telle.  

 

Le clivage Gauche / Droite de plus en plus inopérant

Les Français ne se retrouvent plus dans un système politique marqué par l’opposition autour d’un clivage structurant la vie politique depuis la fin du XVIIIème siècle. Depuis une vingtaine d’années, ce clivage gauche / droite ne convainc qu’une part de plus en plus minoritaire de Français pour comprendre les grands enjeux de la vie politique d’aujourd’hui, notamment la construction européenne, la lutte contre le réchauffement climatique ou encore la mondialisation.

A ce clivage Gauche / Droite s’est substituée une opposition entre les partisans d’une société ouverte et les tenants d’une société du recentrage national sur les plans culturel, économique ou politique. Le candidat Emmanuel Macron avait lui-même théorisé durant sa campagne l’opposition entre progressistes d’une part et nationalistes d’autre part. C’est cette nouvelle donne qui a « éjecté » du second tour pour la première fois sous la Vème République les candidats de la gauche et de la droite classique.

Cette nouvelle structuration du débat politique emporte deux conséquences :

  • Elle est à l’origine d’un malaise persistant au sein des familles politiques traditionnelles (LR et PS en particulier).
  • Elle a tendance à brouiller la perception que les Français peuvent avoir des positions et des programmes des forces politiques.

 

L’absence d’une opposition structurée laisse supposer un nouveau duel Macron / Le Pen

Dans ce paysage politique, le Macronisme qui se présente comme courant politique nouveau a connu très vite un phénomène d’usure politique. François Hollande en 2012 et Nicolas Sarkozy en 2007 en ont été victimes… à la différence notable toutefois qu’il ne profite pas aujourd’hui aux adversaires politiques d’Emmanuel Macron. Ce constat trouve son explication dans l’éclatement des oppositions. Il n’y a pas un adversaire, mais des adversaires, pour lesquels le compromis idéologique ne permet pas de rapprochement pour créer une nouvelle offre électorale alternative.   

Dans ce contexte, Emmanuel Macron, à ce stade, continue à bénéficier non pas de sa propre force interne, mais de la faiblesse de ses adversaires. 

Paradoxalement, trois quart des Français ne sont pas satisfaits et souhaitent sortir d’un duel annoncé.

 

Un troisième candidat pour perturber le duel annoncé ?

Un 3ème candidat pourrait-il perturber ce duel ? De quel côté de l’échiquier politique ? 

 

L’émergence peu probable d’un candidat de gauche

Les Français ne se sont jamais aussi peu sentis appartenir à la gauche. Aussi l’espace à gauche pour trouver une alternative à Emmanuel Macron est-il aujourd’hui extrêmement restreint. Il est d’autant plus ténu qu’il est divisé dans la mesure où un prétendant à la gauche de la gauche, Jean-Luc Mélenchon, est déjà candidat. C’est la raison pour laquelle Anne Hidalgo, n’est aujourd’hui pas en position d’arriver au second tour des élections présidentielles.

Quant aux écologistes, ce n’est guère mieux. Historiquement, ils sont classés à gauche, car ils ont fait le choix de marginaliser l’écologie indépendante pour privilégier un ancrage à gauche. Les élections municipales ont marqué une poussée significative des écologistes dans les métropoles, qu’il faut toutefois relativiser. Si l’écologie est arrivée au pouvoir dans ses grandes villes, c’est grâce à son alliance avec la gauche. Par ailleurs, les écologistes ont toujours été mal à l’aise avec les présidentielles qui est une élection par essence bonapartiste. Dès lors, même avec l’écologie, l’espace de la gauche d’aujourd’hui reste trop faible pour perturber le duel Macron / Le Pen. 

 

La voie étroite d’un candidat tiers issu de la droite de gouvernement

Il existe probablement à droite entre le Macronisme et le Rassemblement National un espace politique dû au fait qu’une proportion significative de Français se sent proche d’une droite modérée sans se sentir appartenir au Macronisme ou au Rassemblement National. 

4 candidats se sont à ce jour déclarés : Bruno Retailleau, Président du groupe LR au Sénat, Rachida Dati Maire du 7ème arrondissement de Paris, Xavier Bertrand, Président de la Région Hauts-de-France et Valérie Pécresse, Présidente de la Région Ile-de-France.  Ce sont les deux Présidents de Région, qui aujourd’hui apparaissent en mesure de réaliser un score à deux chiffres. Valérie Pécresse et Xavier Bertrand ont par ailleurs une autre caractéristique commune : celle d’avoir quitté le principal parti de la droite, Les Républicains. 

Sur cet espace politique, l’ancien Premier Ministre, Edouard Philippe pourrait être en position de force, mais probablement à la seule condition qu’Emmanuel Macron soit contraint à renoncer à une nouvelle candidature. 

  

L’inconnue : une possible agrégation des “mauvaises humeurs”

Après la crise des gilets jaunes et le mouvement social contre la réforme des retraites, la mauvaise humeur d’une frange importante de la population s’est même renforcée avec les deux confinements.  Les mesures prises ont été perçues comme relativement confuses sur les masques, la vaccination et plus largement la gestion de la crise sanitaire. Toutefois, aucun parti n’est arrivé à capitaliser cette mauvaise humeur. 

Le Rassemblement National n’y est pas parvenu. Sur un terrain extrêmement sérieux et grave qui est celui d’une pandémie et de ses conséquences, les populismes de tout bord n’ont pas été perçus comme des alternatives crédibles. Ce sont en revanche les pouvoirs régionaux et départementaux qui sortent relativement auréolés de cette période. Ce n’est à ce titre peut-être pas qu’un hasard si deux Présidents de Conseils Régionaux sont en position de bien figurer aux élections présidentielles.  

Malgré son incapacité à capitaliser autour de ces protestations, Marine Le Pen reste à un niveau élevé. Aucun sondage à ce stade ne la crédite au second tour de plus de 50% ; Mais l’écart se resserre. A ce niveau, de petits déplacements de l’électorat peuvent engendrer d’importantes conséquences politiques, d’autant que l’état de l’opinion n’est pas le même qu’en 2017.

La différence notable, c’est qu’une partie des électeurs de Jean-Luc Mélenchon dans un second tour pourrait préférer Marine Le Pen à l’actuel président de la République. En 2017, l’anti-lepénisme avait permis à Emmanuel Macron de remporter largement le second tour. Aujourd’hui, l’anti-lepénisme perdure, mais coexiste avec un fort anti-macronisme. Toute la question en 2022 sera de savoir laquelle des deux tendances prendra le pas sur l’autre. 

 

 

Julien Pontier Directeur général adjoint Euros / Agency Group

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