La course à la présidentielle s’est accélérée ce mois-ci avec l’entrée en campagne de nombreux candidats à droite comme à gauche. Les oppositions à Emmanuel Macron s’organisent, faute de s’entendre. Si certains souhaitent s’appuyer sur les forces, de moins en moins puissantes, des appareils partisans, d’autres cherchent à renouveler le « casse du siècle » qu’avait opéré Emmanuel Macron en 2017 : arriver à l’Élysée sans le soutien d’un parti. Mouvement de fond ou accident de notre Histoire politique contemporaine ? C’est la question que se posent aujourd’hui les écuries présidentielles.

S’il est une singularité de la campagne présidentielle qui s’annonce, c’est le nombre de candidats sur la ligne de départ. Seront-ils tous présents au premier tour ? On peut en douter, non que le préalable des 500 signatures soit insurmontable pour la plupart d’entre eux. Rappelons que le système a permis la présence au 1er tour de trois candidats se réclamant du trotskisme en 2002. Plus incertaine est la capacité de certains, y compris parmi les principaux, à réunir les moyens financiers pour faire campagne. Tout ce qu’un parti politique est justement en capacité de mettre à disposition d’un candidat à la fonction suprême… issu de ses rangs.

Et c’est bien là que le bât blesse. Force est de constater que les partis traditionnels ne sont plus en situation de faire émerger des candidats crédibles. A aucun moment les candidatures d’Olivier Faure ou de Christian Jacob, patrons respectifs du PS et de LR, n’ont même été testées par les instituts de sondages. Une configuration impensable il y a ne serait-ce qu’une vingtaine d’années. Il ne faisait aucun doute après la défaite de la gauche aux présidentielles de 1995 que Lionel Jospin, de nouveau 1er secrétaire du PS, avait vocation à être l’opposant n°1 de Jacques Chirac. En 2004, Nicolas Sarkozy prend les rênes de l’UMP pour se servir de la fonction comme rampe de lancement pour les présidentielles de 2007. Certes, on pourra objecter que le Rassemblement national et La France Insoumise constituent de notables exceptions. Cependant, le leadership de leurs deux dirigeants, d’ores et déjà candidats, repose sur une organisation partisane plus verticale et sur une forte identification entre le parti et son dirigeant. Les marques Le Pen et Mélenchon, comme celle de Macron avec LREM, sont à l’œuvre autour d’une personnification qui laisse peu de place à la contestation du chef et au débat autour de plusieurs candidatures à la candidature… une forme de légitimité qui a fait ses preuves en 2017, même si elle aura désespéré les partisans de la démocratie et des débats internes !

L’incapacité des partis à désigner un candidat d’évidence est assurément un symptôme de cette crise du système politique qui ronge notre démocratie représentative. Même le système des primaires importé notamment par Arnaud Montebourg des Etats-Unis pour s’en faire le chantre en 2011 au sein du PS, puis adopté par Les Républicains en 2016 pour départager ses poids lourds, ne permet pas a priori de faire émerger un candidat. Il est vrai que le cru 2017 de la Présidentielle semble avoir vacciné nombre de ses anciens laudateurs contre ce qui est apparu davantage comme un moyen d’adouber le représentant chimiquement pur de chacune des familles politiques que comme celui de lancer une candidature susceptible de rassembler au-delà de son camp naturel.

De cette situation naît une certaine confusion à ce stade de la campagne avec des candidatures concurrentes sur un même « créneau » politique. Bien sûr, les nuances existent, mais est-il bien raisonnable pour la lisibilité du débat démocratique que trois figures de la gauche de gouvernement, Anne Hidalgo, Arnaud Montebourg et Yannick Jadot, se présentent en même temps ? Qu’apporterait à la Droite, à part une défaite certaine, une double candidature Xavier Bertrand – Valérie Pécresse ? Quelle est la valeur ajoutée au débat d’Eric Zemmour dans sa course au débordement par la droite de Marine Le Pen, sinon la banalisation de ses idées ?

Ce morcellement est la preuve que les partis traditionnels, faute d’être en capacité de trancher entre plusieurs lignes politiques, s’en remettent bien malgré eux au suffrage universel direct sans leur médiation pour y parvenir. Il est loin le temps où le parti socialiste et le RPR faisaient la synthèse (ou pas) entre les rocardiens et le Ceres d’une part ou entre la droite libérale et souverainiste. Jean-Pierre Chevènement soutenait, du moins jusqu’au déclenchement de la guerre du Golfe, François Mitterrand l’Européen. Charles Pasqua soutenait, du moins jusqu’aux Européennes de 1999, le très libéral Jacques Chirac, Premier Ministre de la première cohabitation.

Pas certain que les électeurs souhaitent, eux, se substituer aux partis. Faute de lisibilité de l’offre politique, ils pourraient se tourner vers les candidats dont la ligne est claire et articulée autour d’une matrice idéologique forte et identifiée. C’est peut-être l’atout de candidatures, comme celles d’Arnaud Montebourg et Eric Zemmour qui posent des diagnostics et des réponses différentes sur la crise identitaire du pays. Là où les partis sont plus enclins aujourd’hui à proposer une liste à la Prévert de mesures sectorielles qui viseraient à draguer des segments d’électorat, les candidatures hors partis pourraient bénéficier du vent dans le dos jusqu’à troubler le duel annoncé, mais peu désiré, Macron / Le Pen.

Les prochains mois de campagne apporteront la réponse ; mais on réalise rarement deux fois coup sur coup le même casse dans la même banque !

 

Julien Pontier

Directeur général adjoint Euros / Agency Group

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