Aucune élection n’est anodine, qui plus est lorsqu’elle intervient à moins d’un an des élections présidentielles. Le Président de la République en est tellement convaincu qu’il n’a pas fait le choix d’enjamber le scrutin. Les résultats peu flatteurs enregistrés par LREM lors des dernières élections municipales auraient pu l’y inciter, d’autant que ses troupes débutent cette campagne dans le même état qu’avant les municipales… sans implantations locales assez fortes pour espérer emporter l’élection dans l’une des treize régions. Sauf surprise, car une élection n’est jamais gagnée ou perdue d’avance !
Emmanuel Macron a donc choisi l’offensive en deux temps. Il a d’abord demandé à Jean Castex, en tant que chef de la majorité, de donner son accord à un rapprochement de la majorité présidentielle avec l’un des présidents LR sortants, en l’occurrence Renaud Muselier, Président de la région PACA. Il a ensuite donné le feu vert à l’implication du médiatique garde des sceaux, Eric Dupont Moretti, dans la campagne des Hauts-de-France. Le point commun à ses deux initiatives spectaculaires : affaiblir le seul parti en mesure aujourd’hui de remettre en cause le scénario d’une réédition du second tour des dernières présidentielles.
Cette stratégie ne présente-t-elle pas des risques ?
En réalité, elle se poursuit, car elle avait commencé dès les débuts de l’épopée qui l’a mené à l’Elysée. Dès la campagne des présidentielles en 2017, certains juppéistes l’avaient rallié, avant que le premier d’entre eux, Edouard Philippe, n’arrive à Matignon. La suppression de l’ISF, puis la réforme des retraites et de l’assurance chômage coupaient l’herbe sous le pied des Républicains, dont la plupart n’osait imaginer eux-mêmes mettre en œuvre un tel programme.
Avec le feu vert donné par Jean Castex à une liste commune LREM-LR, la recomposition du paysage politique français était en marche. Les Macronistes tentaient d’absorber la droite d’opposition tendance modérée pour éviter d’avoir à afficher la faiblesse de leur implantation locale et pour mieux affronter le RN. Une semaine après, le scénario espéré par l’Elysée n’est plus le même. Renaud Muselier, pour conserver le soutien de son parti et sauver l’existence même de LR, a dû faire machine arrière et Sophie Cluzel est finalement la candidate de la majorité présidentielle en région PACA au premier tour. Les grandes manœuvres de l’Elysée ont tout de même fait bouger les lignes : Christian Estrosi, Maire de Nice, et Hubert Falco, Maire de Toulon, quittent leur parti et font de fait un pas supplémentaire vers la majorité présidentielle avec probablement des arrières-pensées nationales à l’approche des présidentielles.
Dans les Hauts-de-France, le dilemme pour LREM était déjà cornélien. Le dernier sondage BVA a rendu la situation encore plus critique. Xavier Bertrand arriverait en tête au premier tour avec 33% des intentions de vote, suivi de près par le candidat du Rassemblement national, Sébastien Chenu, avec 31% des intentions de vote. Le candidat LREM, Laurent Pietraszewski, quant à lui, dépasserait de justesse la barre des 10%. Sous les 10%, le candidat de la majorité présidentielle ne pourrait se maintenir au deuxième tour et Xavier Bertrand aurait toutes les chances d’emporter le scrutin avec une avance confortable (44% / 36%)… véritable tremplin vers la présidentielle. Si la barre des 10% était atteinte et que LREM maintenait sa liste, l’hypothèse d’une victoire du RN prendrait corps.
Avec l’arrivée dans l’arène d’Eric Dupont Moretti, l’Elysée tente de faire oublier le candidat Xavier Bertrand et de focaliser le débat politique, au moins dans le département du Pas-de-Calais, sur l’opposition entre Marine Le Pen et l’actuel garde des sceaux. Une telle stratégie présente le risque non négligeable d’une victoire du Rassemblement national qui a fait de cette terre électorale le laboratoire de sa stratégie de dédiabolisation. Rappelons que Sébastien Chenu vient de la droite classique (tout comme Thierry Mariani, candidat RN en PACA).
Ces grandes manœuvres disent quelque chose de la stratégie esquissée par Emmanuel Macron : fini le « en même temps » qui a permis de faire de LREM un parti « attrape-tout » aux législatives de 2017, fini la doctrine du « ni de gauche, ni de droite ». Emmanuel Macron assume d’incarner un centre-droit, mélange d’une droite orléaniste et bonapartiste, et d’occuper l’espace politique des républicains, déjà bien affaiblis depuis la défaite de François Fillon au 1er tour des présidentielles de 2017. La composition du gouvernement Castex, notamment concernant les ministères régaliens, donnait déjà une forte indication sur cette inclination.
Certains y verront une rupture par rapport au macronisme des débuts, lequel s’appuyait sur la disparition du clivage historique gauche – droite supplantée par une opposition entre progressistes et nationalistes. C’est plus probablement une nouvelle étape de cette recomposition du paysage politique qui est à l’œuvre autour d’une promesse de victoire d’un « front républicain » face à l’extrême droite, faisant d’Emmanuel Macron le seul rempart contre Marine Le Pen.
… avec des effets collatéraux à gauche comme à droite : la radicalisation des partis de l’ancien-monde, qui se détournent de l’objectif de reprendre leurs anciennes parts de marché au parti central. La déclaration d’Eric Ciotti dans un entretien à “Valeurs Actuelles”, assurant que la seule différence entre son parti et le Rassemblement National était sa capacité à gouverner ou l’entrée en campagne de Xavier Bertrand sur des positions anti-immigration illustrent cette tendance. Il est vrai que si les électeurs les plus enclins à voter pour un candidat de la droite classique ont des attentes assez proches des électeurs d’Emmanuel Macron sur les politiques sociales et économiques, sur le terrain de la sécurité et sur le terrain de l’identité, ils attendent une certaine fermeté sur les enjeux de société. Or certains, peu nombreux pour le moment, sont partis vers le rassemblement national, d’autres sont partis vers la Macronie, mais ne se retrouvent pas dans l’ambiguïté du « en même temps » sur les enjeux de société.
L’enjeu de ce début de campagne des présidentielles, c’est assurément la capacité du RN, de LR et de LREM à récupérer une partie de l’électorat de 1er tour de François Fillon (20% des suffrages exprimés en 2017). 30% d’entre eux seraient prêts à voter pour Emmanuel Macron si le scrutin avait lieu aujourd’hui. Cette part de l’électorat LR est essentielle à la réélection du Président sortant pour une raison simple : il a besoin de regagner à droite ce qu’il a perdu à gauche et qui lui avait permis de remporter le scrutin en 2017… Car on ne sort de l’ambiguïté du “en même temps” qu’à ses dépens !
Julien Pontier
Directeur général adjoint Euros / Agency Group