Les enquêtes d’opinion sont unanimes depuis des mois : le pouvoir d’achat est le premier sujet de préoccupation des Français. Si la guerre en Ukraine reste omniprésente dans les esprits, on n’est plus dans le choc et la stupeur des premières images de l’invasion russe. Aussi ce sont davantage les conséquences de la guerre qui semblent angoisser les électeurs, conséquences au premier rang desquelles figurent les risques de perte de pouvoir d’achat. Tout se passe comme si le contexte international donnait plus encore d’importance à la préoccupation première des Français depuis le début de la campagne. Car l’inquiétude des Français en la matière ne date pas de l’invasion russe en Ukraine. 

Et pour cause : aux Etats-Unis, l’inflation est au plus haut depuis une quarantaine d’années de même que dans la zone euros depuis sa création. En France, l’inflation s’élevait à 3,6% en Février dans un contexte de reprise économique mondiale très forte sans que l’offre arrive à suivre. Les conséquences se sont d’abord fait ressentir sur le coût de l’énergie à telle enseigne que Bruno Le Maire affirmait récemment que cette crise était “comparable en brutalité au choc pétrolier de 1973″… à une différence notable près : à l’époque, l’explosion du baril avait certes fait bondir les prix ; mais les salaires étaient indexés automatiquement sur l’inflation et les ménages en partie protégés. Or, aujourd’hui, les salaires n’augmentent pas autant que les prix. Dans ces conditions, c’est le pouvoir d’achat malgré les aides gouvernementales qui subit les dommages de guerre.  

 

Quel impact sur le corps électoral aura l’inflation induite par les conséquences du conflit ukrainien?

Le baromètre de confiance dans les institutions Euros / Agency – Harris Interactive avait à l’automne dernier déjà montré avec une netteté inégalée la préoccupation des Français sur la thématique du pouvoir d’achat. Il se situait d’ailleurs à un même niveau pour les catégories aisées et populaires, ce qui pouvait paraître contre-intuitif. Seuls les plus jeunes qui n’ont pas à subir l’augmentation des dépenses contraintes semblaient relativement moins sensibles à cette question… tout du moins tant qu’ils n’entrent pas dans la vie active et qu’ils ne sont pas soumis à ce qu’on appelle les dépenses contraintes.   

Il fait peu de doute que l’intensité de préoccupation mesurée en octobre dernier ait évolué aujourd’hui alors que nous sommes tous conscients que le conflit Ukrainien a eu et aura un impact sur les prix dans les prochains mois. C’est probablement pour cette raison que le thème du pouvoir d’achat est le seul qui n’ait pas été balayé par la guerre en Ukraine.

 

La défense du pouvoir d’achat :  un terrain inconfortable pour le Président candidat

Il est toujours difficile de communiquer pour un gouvernement sur le pouvoir d’achat. L’actuel, comme d’autres avant lui, ont pu l’expérimenter. La réalité statistique n’est que rarement la réalité vécue. Or, nier une réalité ressentie est toujours dévastateur pour le politique. La défiance à l’égard de l’Etat pour défendre le pouvoir d’achat des Français qu’Harris Interactive avait mesuré à l’automne dernier alors que le gouvernement cherchait à convaincre de l’augmentation du pouvoir d’achat particulièrement parmi les catégories populaires, peut être à cet égard perçu comme le révélateur d’une dissonance entre d’une part une réalité statistique tendant à prouver l’augmentation du pouvoir d’achat et la perception des Français. Si on ajoute à ce phénomène l’image qui a collé à Emmanuel Macron comme le sparadrap au doigt du capitaine Haddock de “Président des riches”, il y avait tous les ingrédients pour en faire un point de fragilité et une zone de danger pour sa candidature. Force est de constater qu’il n’en est rien pour le moment, probablement parce qu’il a su réagir rapidement. Emmanuel Macron a en effet perçu que, compte tenu du climat social, il s’exposait au danger pour un sortant que le pouvoir d’achat devienne le sujet majeur et que la campagne devienne vite un procès sur le bilan du sortant qui n’en a pas assez fait. 

 

La voie du “quoi qu’il en coûte” empruntée par l’ensemble des candidats  

Surveillant comme le lait sur le feu la situation sur le terrain de l’inflation, le gouvernement s’est empressé de multiplier les annonces en particulier dans le secteur de l’énergie. Gel du prix du gaz jusqu’à la fin de l’année, tarifs de l’électricité limitée à 4%, indemnité d’inflation pour les ménages les plus modestes, aide sur les carburants de 0,15€ de moins par litre à partir du 1er avril… le Président-candidat n’a pas lésiné sur les moyens. Ses challengers se mettant au diapason à coup de baisse de fiscalité ou  de hausse du salaire minimum, non plus! 

Des mesures qui ont toutes un coût pour les finances publiques… sans présenter pour autant de coût politique pour les candidats, car, contrairement aux précédentes campagnes, la question de la réduction de la dette publique a totalement disparu des débats, hormis peut-être au moment de l’entrée en campagne de Valérie Pécresse, laquelle accusait Emmanuel Macron d’avoir “cramé la caisse”. 

 

Le choix payant de Marine Le Pen d’avoir fait de la défense du pouvoir d’achat l’un de ses principaux thème de campagne

On peut faire l’hypothèse que Marine Le Pen tient sa qualification pour le deuxième tour grâce à ce positionnement politique. Elle semble être en effet perçue comme plus crédible sur ce terrain qu’Eric Zemmour, dont le meeting de Lille sur cette thématique n’avait pas convaincu. Il faut dire que Marine Le Pen dispose d’un socle électoral moins exposé à la guerre : un électorat jeune issu des catégories populaires, justement plus sensible aux questions de pouvoir d’achat.  Cet électorat est d’ailleurs sa force comme son talon d’Achille car le plus susceptible de s’abstenir. 

De l’autre côté du spectre politique, la gauche aurait dû être favorisée par une campagne qui tourne autour du pouvoir d’achat. Il n’en est rien, du fait d’un double handicap de crédibilité. Le premier tient à son hostilité à l’énergie nucléaire (à la notable exception de Fabien Roussel), la source d’énergie parmi la moins chère. La seconde à sa volonté d’opérer une transition énergétique pour éviter “la fin du monde”, mais avec des conséquences sur “les fins de mois”.  

 

Ne sur-estimons pas l’impact de la thématique du pouvoir d’achat sur le vote ?

Alors que la politisation biographique liée à un parcours de vie prend le pas sur les processus de politisation idéologique, est-on bien certain que cette thématique du pouvoir d’achat sera déterminante dans le choix des Français et changera le cours de l’élection? Rien n’est moins sûr, d’autant que, nous le savons, les élections ne se gagnent pas sur des enjeux matérialistes, mais sur des systèmes de valeur et de croyance. 

 

Julien Pontier

Directeur Général Adjoint

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