La question paraît presque hors de propos tant les chances d’un candidat issu de la gauche semblent ténues lors des présidentielles de 2022. Les espoirs les plus fous des partis placés de ce côté de l’échiquier politique pourraient tout au plus reposer sur un retour du clivage gauche-droite lors des législatives comme lors des séquences électorales locales de 2020 et 2021… et encore à plusieurs conditions.
La première serait une réélection d’Emmanuel Macron en mai incapable de s’appuyer sur une majorité présidentielle articulée autour de son parti LREM sorti exsangue d’un premier quinquennat. La seconde, plus hypothétique encore, résiderait dans la capacité des quatre principaux partis de gauche (LFI, EE-LV, PS et PCF) à présenter une plateforme de gouvernement et à trouver un accord électoral. La troisième, qui ne paraît pas beaucoup plus plausible, serait une fois les deux premières réunies, que la droite de gouvernement non macroniste ne profite pas de la dynamique électorale observée en sa faveur lors des municipales, départementales et régionales.
Ce scénario relève de la politique fiction. Tenons-en nous au réel : le verdict des urnes depuis le début du quinquennat.
Lors de ces élections régionales, l’union de la gauche dès le 1er tour n’aura été complète que dans deux régions : dans les Hauts-de-France et dans la région PACA, les deux fois sous l’égide des écologistes. Elle aura été plus classique en Nouvelle-Aquitaine, Bourgogne-Franche-Comté, Occitanie, Auvergne-Rhône-Alpes et en Bretagne avec d’un côté le Parti socialiste, le Parti radical de gauche (PRG) et le Parti communiste (PC) et de l’autre Europe Écologie-Les Verts (EE-LV), Génération.s et la France insoumise (LFI). En Ile-de-France, l’électeur de gauche aura eu un choix plus large, chaque parti (PS, EE-LV et LFI) présentant sa propre liste.
Aucune formule n’aura été gagnante. La gauche rassemblée dès le premier tour a plafonné à un score plus faible qu’en 2015 (entre 16 et 18%). Certains diront que ce résultat décevant est lié à la présence d’une tête de liste écologiste ; plus sûrement, le vote utile en faveur de Xavier Bertrand et de Renaud Muselier pour faire barrage au RN dès le premier tour est un meilleur facteur d’explication. La gauche en ordre dispersée dans les Régions en conquête n’aura pas plus créé de dynamique. Tout au plus, et ce peut être un motif de satisfaction pour la gauche, n’a-t-elle pas enregistré de défections entre les deux tours une fois réunie autour de la liste sortie en tête de la primaire de premier tour. Manuel Valls et Jean-Paul Huchon désavoués, la théorie de « la gauche irréconciliable » semble ainsi invalidée. Quant à la tentative conduite par Aurélie Filippetti en Région Grand Est de contourner les appareils politiques, elle ne lui a pas permis d’accéder au second tour.
Seuls à tirer leur épingle du jeu, les sortants socialistes ont su créer une dynamique, parfois même spectaculaire comme en région Occitanie. Ils ont conservé les 5 régions métropolitaines où la gauche était sortante (Nouvelle Aquitaine, Occitanie, Bretagne, Centre Val de Loire et Bourgogne Franche-Comté). Les circonstances de ces victoires sont pour le moins remarquables car rarement obtenues avec le soutien de l’ensemble des forces politiques de la gauche. Ni les écologistes, ni les insoumis n’ont été invités par Carole Delga, ou Alain Rousset à conclure un pacte majoritaire.
Les résultats des régionales n’ont en outre pas pu dégager un leader identifié et un rapport de force lisible entre écologistes et socialistes.
Le PS ayant conservé ses régions, le premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure faisait volte-face dès le lendemain du second tour pour estimer qu’il n’avait plus besoin de se soumettre derrière EE-LV incapable de crever le « plafond vert », alors qu’il assumait, encore récemment, l’éventualité de ranger le PS derrière un candidat écologiste.
EE-LV pouvaient à juste titre se targuer de devancer le PS en Ile-de-France, Pays de la Loire et Auvergne Rhône-Alpes devant Audrey Pulvard, la candidate initialement soutenue par Anne Hidalgo, Guillaume Garot, ancien Ministre et Najat Valaud Belkacem, qui faisait son retour en politique.
Quant au leadership de LFI et de Jean Luc Mélenchon, il ne relève plus de l’évidence. Lorsque LFI est parti sous sa propre bannière et seule, ses listes arrivent derrière EE-LV et le PS, comme en Ile-de-France et plus nettement encore en Auvergne Rhône-Alpes. Parallèlement, les derniers sondages d’intention de vote pour le 1er tour des présidentielles semblent démontrer une nette perte de vitesse de Jean Luc Mélenchon, pourtant seul candidat déclaré.
Force est de constater que les trois principaux partis à gauche (PS, EE-LV et LFI) sont sur une même ligne de départ à neuf mois des présidentielles.
Déjà au lendemain des municipales en 2020, les 230 voix d’écart en faveur de Martine Aubry à Lille avaient maintenu le débat ouvert et incertain sur le leadership à gauche entre les socialistes et les écologistes. Le spectre pour les socialistes d’un scénario inversé à celui rencontré à la fin des années 70 entre un PC en déclin et un PS hégémonique était repoussé in extremis.
Après les régionales et les départementales, la traduction au plan national des résultats pour faire émerger un leadership à gauche reste plus difficile que jamais. Il n’en reste pas moins que dans le cœur des métropoles, le vote écologiste tend lui à devenir hégémonique, en particulier dans les villes conquises l’année dernières. Les résultats des départementales sont édifiants de ce point de vue. A Lille, 3 cantons basculent en faveur de candidats EELV confrontés à des adjoints de Martine Aubry ; à Rennes, 5 des 6 cantons passent sous le contrôle d’EE-LV ; à Brest, un canton est lâché par les socialistes de même qu’au Mans ; les nouveaux maires de Poitiers et Tours confirment également à l’occasion de ces départementales leur nouvel ancrage.
Autre fait marquant, le Parti socialiste, s’il conserve ses présidences de région et de département, perd de nombreux élus régionaux ou départementaux. Ainsi, selon un pointage réalisé par la fondation Jean Jaurès, le Parti socialiste aurait sauvé ces cinq présidences de région en passant de 350 à 221 conseillers régionaux entre 2015 et 2021. Pour les départements, le phénomène est comparable : ainsi, le Parti socialiste perd 331 conseillers départementaux. Quand on sait que les forces militantes au parti socialiste, comme désormais dans la majorité des partis, est issue de ses élus, ce phénomène ne peut être sans incidence pour les prochaines années.
A l’absence de leadership politique vient s’ajouter comme handicap un espace politique ténu. Cette combinaison rend l’émergence d’un candidat de gauche peu probable.
Une étude Ifop sur le positionnement des Français sur un axe gauche-droite révélait en juillet 2020 qu’ils ne s’étaient jamais aussi peu sentis appartenir à la gauche. Aussi l’espace à gauche pour trouver une alternative à Emmanuel Macron est-il aujourd’hui extrêmement restreint quel que soit la qualité de l’homme ou la femme qui chercherait à incarner cette alternative.
Cet espace politique est par ailleurs divisé : une partie (qui semble fondre comme neige au soleil), est occupée par Jean-Luc Mélenchon, d’ores et déjà candidat. Le PS, malgré sa résistance à l’échelon local, est très affaibli à l’échelon national et l’hypothétique candidature d’Anne Hidalgo ne semble pas susciter l’intérêt à ce stade des Français. Quant aux écologistes, ils ont toujours été mal à l’aise avec les présidentielles qui est une élection par essence bonapartiste ; les modalités de leur primaire comme d’habitude marque un écart entre d’une part le noyau dur des militants et d’autre part l’électorat écologiste, sans parler de l’ensemble de l’électorat.
Enfin, et c’est peut-être le phénomène le plus important et le plus inattendu : malgré tous les commentaires sur le quinquennat en cours, l’électorat social-démocrate semble toujours acquis à Emmanuel Macron, réduisant d’autant le trou de souris dans lequel la gauche de gouvernement pourrait se faufiler pour être de retour au pouvoir. Tout se passe comme si le coeur de l’électorat qui avait porté François Hollande à l’Elysée en 2012, las des dérives d’une gauche de moins en moins “républicaine” et de plus en plus “démocrate” pour reprendre la terminologie de Régis Debray, se réfugiait dans le vote Macron. À défaut d’être de gauche sur le terrain économique, il l’est davantage sur les questions sociétales se disent-ils!
Julien Pontier
Directeur général adjoint Euros / Agency Group