À la sidération provoquée par la pandémie a succédé le choc engendré par l’offensive russe en Ukraine. Sans répit, l’opinion publique encaisse des crises conjoncturelles dont les répercussions sont planétaires. C’est une nouvelle étape franchie dans la globalisation du monde dans lequel nous vivons !
Dans ce contexte, l’espace médiatique se trouve de nouveau saturé. Les chaînes d’information après avoir vu défiler sur leur plateau les médecins en quête de notoriété reçoivent désormais, toute la journée durant, des généraux en retraite, avec comme point commun une connaissance très relative de la réalité de l’adversaire. Il est vrai que Vladimir Poutine est aussi insaisissable et imprévisible qu’un variant du Covid 19. Au « nous sommes en guerre » d’Emmanuel Macron sonnant la mobilisation générale contre le coronavirus répond aujourd’hui un « le plus dur est devant nous » à peine tempéré par un « nous ne sommes pas en guerre contre le peuple russe ». Cette sémantique anxiogène ne peut être sans conséquences sur le corps électoral. Le contexte inédit sous la Vème république dans lequel va se dérouler la campagne officielle pour l’élection présidentielle aura incontestablement un impact sur les motivations du vote, mais plus encore sur la conduite du prochain quinquennat.
La politique étrangère au cœur de la campagne
Les plus optimistes, que l’on trouvera plutôt du côté de la majorité présidentielle sortante, se réjouissent de voir la politique étrangère, domaine réservée du Président de la République sous la Vème République, placée au centre de la campagne. Certains y voient même un motif de remobilisation des électeurs. A l’actif de cette thèse, on remarquera que la capacité d’un candidat à incarner la place de la France au niveau international joue un rôle fondamental dans la perception des électeurs à « détecter un présidentiable ». A cet égard, la crise internationale ne peut desservir le Président sortant, dont les intentions de vote s’envolent depuis le début du conflit. Il profite d’un phénomène bien identifié de regain de popularité pour un Président “père de la nation” en temps de guerre. Jacques Chirac, après son refus d’intervenir en Irak en 2003, en avait par exemple bénéficié.
Un espace politique de plus en plus réduit pour les oppositions
Les plus réalistes s’inquiètent quant à eux d’une campagne qui n’aura finalement jamais commencé. Au premier rang d’entre eux, les partisans de Valérie Pécresse surveillent avec une certaine fébrilité les transferts de vote qui semblent s’opérer entre leur candidate et le Président sortant, nouvelle preuve que cette élection se joue cette fois au centre droit. Le centre gauche, pro-européen, était acquis depuis longtemps ; le centre droit se réunifie aujourd’hui autour d’Emmanuel Macron et peut-être demain autour d’Édouard Philippe, plus séduit par la cohérence d’une ligne politique dont la base s’est construite à partir du clivage entre les partisans d’une société́ ouverte et les tenants d’une société du recentrage national sur les plans culturel, économique ou politique. C’est dire l’étroitesse de l’espace politique qui reste aux autres candidats, dont les plus sérieux dans les sondages, se sont retrouvés discrédités. Tout à sa stratégie clivante, Eric Zemmour est apparu coupé du pays réel lorsqu’il s’est opposé à l’accueil des réfugiés ukrainiens (alors que 79% des français se déclarent favorables à ce que l’on accueille en France les réfugiés ukrainiens qui en font la demande). Marine Le Pen éprouvera quelques difficultés à faire oublier sa poignée de main avec Vladimir Poutine pour le remercier d’avoir facilité le financement de sa dernière campagne présidentielle. Quant à Jean-Luc Mélenchon, dernier représentant de la gauche pacifiste, il pourra apparaître y compris dans son propre camp comme à contre-courant du sens de l’Histoire que les Verts allemands membres de la nouvelle coalition gouvernementale semblent avoir mieux compris.
Un électorat désorienté
La situation internationale met sous l’éteignoir les préoccupations des Français à un mois du scrutin présidentiel. Le débat démocratique en sera affecté. C’est aujourd’hui une certitude. Le prochain quinquennat probablement aussi. Pourquoi ? À force de perdre la culture de la délibération démocratique, de voir la légitimité des élections très affaiblie par une abstention galopante, il ne sera pas facile de faire face aux enjeux qui s’annonçaient et qui s’annoncent plus que jamais depuis quelques jours.
Élire un Président sans mandat autre que celui de protéger la nation ne lui donnerait en effet que peu de légitimité à apporter une réponse politique aux aspirations premières des Français sur leur sécurité, sur le pouvoir d’achat et sur l’emploi. C’est peut-être tout le risque que représente l’effacement du clivage droite / gauche, accentué par la tentation d’une union nationale autour d’Emmanuel Macron, incarnée ces derniers jours par les ralliements de Jean-Pierre Raffarin et de Jean-Pierre Chevènement. On admettra qu’il y a de quoi désorienter les Français !
Julien Pontier
Directeur Général Adjoint