L’automne avait laissé entrevoir la perspective d’une campagne électorale mouvementée et pleine de surprise. Eric Zemmour avait su profiter d’une brève trêve dans la crise sanitaire pour imposer ses thèmes de campagne et faire irruption dans la course à l’Elysée avec une trajectoire sondagière aussi surprenante qu’inédite.
Depuis la vague Omicron, la campagne s’est de nouveau figée. Une aubaine pour le Président sortant qui a pu se draper une nouvelle fois dans les habits du père de la nation protecteur. Les électeurs quant à eux semblent à ce stade ne pas vouloir changer de capitaine en pleine tempête. Un classique en période de guerre pour reprendre l’expression du chef de l’Etat lorsqu’il s’est adressé aux Français au tout début de la crise sanitaire.
De cette situation naît une conjoncture politique inédite : d’un côté, le Président sortant qui retarde son entrée en campagne apparaît comme le favori pour la première fois sous la Ve République hors période de cohabitation. De l’autre, chaque opposant joue pour l’instant dans son couloir : la gauche se déchire sans boussole sur une part de marché électoral réduite à peau de chagrin ; les oppositions de droite se sont lancées dans une course effrénée vers les extrêmes sur les thématiques identitaires et sécuritaires. Dans ces conditions, le débat démocratique est absent faute de base commune. Il est dès lors symptomatique qu’à 11 semaines du scrutin, il ne ressorte du bruit de fond médiatique que les vacances du Ministre de l’éducation nationale à Ibiza. Le pouvoir d’achat, l’avenir des retraites, l’état de notre système de santé, le traitement de la « dette Covid »… aucun de ces sujets ne sont traités dans le cadre de la campagne. Le seront-ils d’ailleurs avant le premier tour ? Rien n’est moins sûr car le presque candidat Macron a d’ores et déjà fait dire qu’il ne participerait pas aux débats télévésés.
Comment s’étonner que les trois quarts des électeurs estiment que la campagne « n’aborde pas les vrais problèmes » et « n’apporte pas des solutions pour le pays », dans un récent sondage OpinionWay-Kéa Partners pour « Les Echos ». Si proche du scrutin, ce mécontentement, qui pourrait tourner à l’indifférence, laisse présager une abstention record pour une élection présidentielle, dont l’une des caractéristiques est pourtant d’être la moins boudée par les Français.
Autre symptôme de cette atonie démocratique, le niveau d’indécision beaucoup plus élevé qu’en 2017 des électeurs prêts à se déplacer aux urnes en avril prochain. D’après la quatrième livraison de l’enquête électorale réalisée par Ipsos/Sopra Steria pour le Cevipof, la fondation Jean Jaurès et Le Monde, à peine 55% des électeurs, certains d’aller voter, déclarent que leur choix est définitif, pour 45% qui se réservent la possibilité de changer d’avis.
A gauche, cette volatilité tient à un électorat désemparé par la désunion et par la perspective démobilisatrice de ne pouvoir porter un candidat au deuxième tour. Au centre droit, où pourrait se jouer la Présidentielle, la mobilité de l’électorat est tout aussi impressionnante. La même étude Ipsos révèle que le second choix des électeurs d’Emmanuel Macron se porte sur Valérie Pécresse, et inversement. Au regard de cette étude, la position de favori à la présidentielle d’Emmanuel Macron, incontestable à ce stade, s’avère fragile. Déterminante sera son entrée « officielle » en campagne, un exercice que ses prédécesseurs au pouvoir (Edouard Balladur, Lionel Jospin, Nicolas Sarkozy) n’ont pas tous réussi.
Pour consolider ses positions, Emmanuel Macron veut indubitablement se servir de la Présidence Française de l’Union Européenne. Le calcul politique, appuyé par des convictions européennes à n’en pas douter profondes, s’était avéré payant en 2017 : les Français ne se retrouvent plus dans un système politique marqué par l’opposition autour d’un clivage structurant la vie politique autour de la place de la puissance publique dans une économie de marché et dans les mécanismes de redistribution. A ce clivage Gauche / Droite s’est substituée une opposition entre les partisans d’une société́ ouverte et les tenants d’une société du recentrage national sur les plans culturel, économique ou politique.
Le second tour des élections présidentielles de 2017 avait été un symptôme de cette nouvelle structuration du débat politique. Elle n’était pas nouvelle, si l’on se réfère au referendum sur le traité de Maastricht en 1992 et plus encore sur la Constitution européenne en 2005. Le candidat Emmanuel Macron avait lui-même théorisé́ durant sa campagne l’opposition entre progressistes d’une part et nationalistes d’autre part. C’est cette nouvelle donne qui a « éjecté́ » du second tour pour la première fois sous la Vème République les candidats de la gauche et de la droite classique.
Réitérer la même stratégie présenterait l’avantage pour lui en 2022 de retrouver son socle électoral de 2017, celui des pro-européens des deux rives. A gauche, le champ est libre pour conserver les 46% des électeurs de François Hollande de 2012 qui avaient glissé un bulletin Macron dans l’urne en 2017. A droite, l’émergence de Valérie Pécresse n’était de ce point de vue pas une bonne nouvelle pour Emmanuel Macron. Son grand écart permanent lié au nouveau poids politique de la ligne incarnée par Eric Ciotti pourrait l’éloigner du second tour des présidentielles… et rassurer les plus anxieux dans l’entourage du Président sortant.
Encore faut-il entrer en campagne pour faire vivre un débat démocratique, qui se fait plus qu’attendre !
Julien Pontier
Directeur Général Adjoint