Ce n’est pas le moindre des paradoxes autour du phénomène Zemmour : la déclaration de candidature de l’ancien polémiste a révélé le meilleur comme le pire dans la conduite de sa campagne. A l’image de la longue séquence qui a précédé l’officialisation de son intention de briguer la plus haute fonction de notre République, il a fait preuve d’intelligence tactique (sa percée inédite sous la 5ème République en est une preuve flagrante), mais commis également des erreurs de débutant. Novice dans le champ politique, il l’est bien qu’ayant été durant plus de quinze ans un observateur avisé de la scène politique. C’est certainement la clé de lecture de ses récentes bévues qui lui coûtent un premier reflux dans les sondages. Fin stratège, il l’est également… et c’est la raison pour laquelle on ne peut totalement écarter l’idée que le phénomène Zemmour sera durable et qu’il garde toutes ses chances d’accéder au second tour du scrutin présidentiel. 

Le seul candidat des oppositions à s’inscrire dans un récit national

L’objet médiatique non identifié qu’a constitué le clip par lequel Eric Zemmour s’est déclaré est inédit. Il ne laisse pas indifférent comme le candidat qu’il promeut. Cette originalité est sa force et son efficacité, en plus d’être en cohérence parfaite avec le discours qu’il porte. Sur la forme, l’effet de surprise détonne dans une précampagne marquée par l’atonie des débats de la Primaire LR et l’absence des candidats de gauche. Sur le fond, la vidéo visionnée par plusieurs millions de Français confirme que sa candidature s’inscrit dans un récit national.

Il est à ce jour le seul à l’image d’Emmanuel Macron en 2017 à réussir cet exercice. Portant une vision apocalyptique en miroir de celle qui a fait le succès d’Emmanuel Macron lors des dernières présidentielles, Eric Zemmour met des mots sur une angoisse française qui va bien au-delà de son camp naturel : la peur du déclassement d’une France en voie de décomposition et de remplacement.

Arnaud Montebourg avait également les ressources dans son parcours politique pour incarner à gauche une vision articulée de notre société et un projet qui se serait arrimé à l’identité du pays. Il a cependant opéré un choix stratégique réducteur : se limiter à un souverainisme économique via la réindustrialisation de la France et de ses territoires en occultant une vision culturelle. Sa “sortie de route”, le 12 novembre dernier sur RTL, lorsqu’il a affirmé vouloir bloquer les transferts d’argent de particuliers vers les pays qui ne coopèrent pas avec la France pour faire appliquer les obligations de quitter le territoire français, semble avoir définitivement plombé sa remontada. La stratégie de la triangulation a fait long feu…

Un candidat qui rassemble les droites bonapartistes et légitimistes

De triangulation, il n’en est pas question du côté d’Éric Zemmour. La stratégie est limpide : surfer, à partir d’un populisme de droite extrême teinté de bonapartisme, sur l’un des nouveaux clivages qui s’est substitué au clivage gauche / droite, celui du peuple contre les élites. Il construit un récit alternatif à celui du Président de la République sortant qui pourrait séduire de la nouvelle droite pasquaïenne incarnée par Éric Ciotti au courant nationaliste intégral, identitaire et libéral-conservateur représenté par Marion Maréchal en passant par la droite catholique sociale de Jean-Frédéric Poisson et Christine Boutin. Il réalise en somme la jonction entre d’une part la droite légitimiste contre-révolutionnaire et d’autre part la droite bonapartiste et rapproche du moins dans son discours l’inconciliable : Le général De Gaulle et Vichy. 

Par ce tour de force, il « cornerise » Les Républicains et Valérie Pécresse dans la droite orléaniste, elle-même préemptée par Emmanuel Macron. On mesure l’immensité de la tâche pour la Présidente de la Région Ile-de-France !

Une ascension prévisible ?

Si l’ascension spectaculaire d’Éric Zemmour a pu surprendre, elle était prévisible, non que l’ancien polémiste n’ait les propriétés d’un candidat idéal à l’Élysée cochant toutes les cases de la présidentialité, mais parce que les sondages indiquaient tous sans exceptions depuis des semaines que les Français rejetaient en majorité un remake du deuxième tour de 2017. Dans le face-à-face Macron / Le Pen pronostiqué, mais non désiré, Marine le Pen faisait figure de maillon faible, non pas parce que l’opinion, et en particulier les jeunes et les classes populaires, ne serait plus sensible à son discours, mais bien parce que la crise sanitaire a permis au chef de l’État sortant de consolider sa position. On ne change pas l’équipage en pleine tempête. Là est la clé d’explication de son impressionnante stabilité dans les intentions de vote depuis des mois.   

Un autre signe était annonciateur : 58 % des français interrogés soutenaient en avril dernier les militaires ayant signé une tribune controversée dénonçant le “délitement” du pays, (sondage Harris Interactive) du fait “d’un certain antiracisme”, de “l’islamisme et des hordes de banlieue”.  Il est probable qu’une grande partie d’entre eux était dimanche dernier à Villepinte ! 

Dans ce contexte, il y avait une place pour le grand remplacement de Marine Le Pen par Eric Zemmour, plus à même d’agréger les mécontentements exprimés dans les mouvements sociaux qui se sont succédés depuis 2019 : la crise des gilets jaunes, les grèves contre la réforme des retraites, la fronde anti passe sanitaire. Jusqu’alors ni le RN, ni LFI n’étaient perçus comme des alternatives crédibles. De là à affirmer qu’Éric Zemmour y parviendra, il est encore trop tôt, d’autant que des failles apparaissent dans son dispositif de campagne.

Le talon d’Achille d’Eric Zemmour : la maîtrise de soi

L’interview ratée au journal de 20h qui a suivi sa déclaration de candidature et son déplacement à Marseille cauchemardesque prouvent qu’Eric Zemmour n’a pas parachevé sa mue de journaliste à candidat. Un autre signe à cette heure pourrait le préoccuper à juste titre : l’absence de ralliement de poids à sa candidature. La composition des premiers rangs au meeting de Villepinte ont pu laisser sur leur faim ceux qui attendaient l’arrivée spectaculaire de soutiens : point d’anciens ministres, ni même de députés ou d’élus locaux de la droite républicaine ou du Rassemblement national. Juste Christine Boutin et Paul-Marie Couteaux… c’est maigre en attendant peut-être Guillaume Peltier !  

Un candidat peut en cacher un autre

On pourrait ajouter parmi les faiblesses du candidat Zemmour le rejet de l’électorat féminin ou la violence physique qui s’exprime lors de ses déplacements ou dans le cadre même de ses meetings (il est vrai attisée par un discours politique non moins violent). Si elles ne sont pas gommées, le face-à-face Macron / Le Pen pour le deuxième tour pourrait rester l’hypothèse la plus crédible… avec une issue plus incertaine qu’en 2017. Marine Le Pen bénéficierait du soutien probablement au moins implicite d’Eric Zemmour, de la difficulté de Valérie Pécresse à appeler à voter pour Emmanuel Macron et enfin d’une gauche dont les derniers électeurs profiteraient des beaux week-ends printaniers pour aller à la pêche les 10 et 24 avril prochain.

 

Julien Pontier

Directeur général adjoint Euros / Agency Group

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