Les urnes ont rendu leur verdict. Le président sortant enregistre un score en hausse par rapport à 2017, avec 27,60 % des voix, devant la candidate du RN, qui signe un nouveau record avec 23,41 % des suffrages, nettement devant Jean-Luc Mélenchon, à 21,95 %.
Bien qu’invariablement, sondages après sondages, les Français semblaient exprimer leur rejet d’un remake du deuxième tour de 2017, pour la première fois depuis plus de quarante ans, ils ont qualifié au second tour le même duel que lors de la précédente élection présidentielle. La comparaison pourrait s’arrêter là, tant la situation politique est différente 5 ans après. Il fait peu de doute à l’issue de ce 1er tour que la réélection d’Emmanuel Macron, qui serait inédite pour un président en exercice hors cohabitation, ne sera pas aisée.
Durant tout le quinquennat, Marine Le Pen n’était pas parvenue à capitaliser autour des mécontentements. Mal à l’aise devant la crise des gilets jaunes, peu servie par la gestion hasardeuse de la pandémie par les « populistes » au pouvoir aux États-Unis ou au Brésil par exemple, Marine Le Pen n’abordait pas cette campagne en position de force. Son échec aux Régionales, puis l’ascension exceptionnelle d’Eric Zemmour à l’automne dans les sondages pouvait même laisser penser que cette campagne était celle de trop.
Il n’en était rien. Une nouvelle fois, la marque Le Pen résistait aux vents contraires bien aidée par les circonstances et Eric Zemmour. Malgré lui, ce dernier parachevait le travail de dédiabolisation du Rassemblement national ; la guerre en Ukraine et ses conséquences permettait de faire fructifier une stratégie de campagne clairement identifiée autour de la défense du pouvoir d’achat.
La capacité de mobilisation de Marine Le Pen bien plus importante en 2022 qu’en 2017
La voilà aujourd’hui pour la deuxième fois consécutive au second tour de la Présidentielle dans une configuration politique très différente par rapport à 2017, et avec une capacité de mobilisation autour de sa candidature au second tour bien plus importante. A chaque scrutin présidentiel, ce potentiel de rassemblement s’étoffe. En 2017, 10,5 millions d’électeurs avaient voté pour la candidate du RN contre 7,7 millions au premier tour, soit une progression de près de 3 millions de voix. Marine Le Pen voyait son score passer de 21,3 à 33,9% des suffrages exprimés, soit près de 14 points de plus. Il convient de rappeler qu’en 2002, Jean-Marie Le Pen avait vu son score progresser seulement de moins d’un point (passant de 16,9% à 17,8%) et n’avait gagné qu’un peu plus de 720 000 suffrages.
Cette fois, les gains d’entre-deux-tours pourraient être encore plus spectaculaires. En 2017, l’anti-lepénisme avait permis à Emmanuel Macron de remporter largement le second tour. Aujourd’hui, l’anti-lepénisme perdure, mais coexiste avec un fort anti-macronisme, qui ne garantit pas l’efficacité d’un front républicain contre Marine Le Pen. Toute la question sera de savoir cette année laquelle des deux tendances prendra le pas sur l’autre. Certes, Anne Hidalgo, Yannick Jadot et Fabien Roussel ont appelé sans ambiguïté à battre Marine Le Pen. Certes, dans des formules plus alambiquées entrouvrant la voie à l’abstention, Valérie Pécresse et Jean-Luc Mélenchon ont fait de même. Il n’en demeure pas moins qu’une partie des électeurs de Jean-Luc Mélenchon pour lesquels la retraite à 65 ans serait un casus belli et de Valérie Pécresse dont le socle électoral s’est droitisé de façon spectaculaire pourraient préférer Marine Le Pen à l’actuel Président de la République… dans des proportions relativement importantes. 35% des électeurs de Valérie Pécresse se reporteraient, probablement comme Eric Ciotti sur la candidature de Marine Le Pen d’après l’Ifop. 30% d’entre eux pourraient opter pour un vote blanc, nul ou l’abstention. Selon le même institut, les réserves seraient potentiellement plus importantes encore du côté des électeurs de Jean-Luc Mélenchon : 33% se prononceraient pour Emmanuel Macron, 23% pour Marine Le Pen et 44% choisiraient un bulletin blanc, nul ou l’abstention. En outre, Marine Le Pen dispose pour la première fois de réelles réserves de voix parmi les électeurs d’Eric Zemmour et Dupont Aignan, sans compter les 12 à 13 millions d’abstentionnistes du 1er tour, le premier parti de France aujourd’hui.
Trois blocs politiques
L’élection a été totalement écrasée par un « vote ultra-utile » pour les trois candidats arrivés en tête.
Après le PS en 2017, Emmanuel Macron a absorbé la droite républicaine pour la disloquer. L’accélération du siphonnage dans la dernière semaine a probablement trouvé un moteur dans la crainte suscitée par les progressions de Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. Deux résultats illustrent de façon spectaculaire ce basculement : 37,5% des plus de 65 ans ont voté pour Emmanuel Macron ; 8,8 % seulement pour Valérie Pécresse. 48,8% des électeurs de Neuilly-sur-Seine ont placé en tête du scrutin Emmanuel Macron, le président qui aura en partie supprimé l’Impôt Sur la Fortune (ISF) et réformé l’assurance chômage. Il poursuit ainsi la constitution d’un bloc centriste et central sur la scène politique autour des libéraux pro-européens.
Quant à Marine Le Pen, elle a su préserver son hégémonie à l’extrême droite de l’échiquier politique profitant des erreurs stratégiques de son rival sur son couloir, Eric Zemmour. Ce dernier n’a pas su élargir son espace politique au-delà d’un électorat finalement très minoritaire… probablement parce qu’il ne s’est adressé au moment de l’invasion russe en Ukraine qu’au cœur de son électorat radicalisé.
Jean-Luc Mélenchon a enfin rassemblé la gauche dans toutes ses composantes pour constituer un bloc social écologiste qui se ravive à chaque présidentielle sans réussir à s’ancrer durablement dans la vie politique de notre pays. Comme en 2017, il réalise un très bon score. Dans notre système politique, permettra-t-il de peser pendant 5 ans? Du fait du mode de scrutin majoritaire à deux tours pour les élections législatives, lequel structure notre vie démocratique autour de deux camps, on peut en douter.
Dans cette nouvelle configuration politique, le parti socialiste (PS), Europe Ecologie Les Verts (EELV) et Les Républicains (LR) pourraient ne plus disposer de groupe politique à l’Assemblée en juin prochain. À droite, les Députés sortants auront la tentation d’afficher des convictions à géométrie variable selon leur circonscription. Tantôt, des rapprochements seront souhaités avec la majorité présidentielle actuelle, via le parti d’Edouard Philippe, “Horizon”, tantôt ils pourraient être tentés par l’aventure nationale populiste dans le sillage de Marine Le Pen et Eric Zemmour. L’exercice sera périlleux, car il eût été plus aisé de négocier avec ce dernier, dont l’ambition était justement de refonder la droite en opérant la jonction entre LR et l’extrême-droite.
Un bon score du Président sortant en trompe l’œil ?
Le score élevé d’Emmanuel Macron en cache un autre qui devrait le préoccuper dans cet entre-deux-tours. Première source d’inquiétude, le niveau d’abstention ; certes, elle est moins importante que ce que les instituts de sondage laissaient craindre. Il n’en reste pas moins que seuls 74% des électeurs ont voté ce dimanche. C’est beaucoup plus que lors des scrutins précédents et ce taux grimpe au fil des quinquennats : 16,2 % en 2007, 20,5 % en 2012 et 22,2 % en 2017.
Plus inquiétant encore est le délitement des partis de gouvernement, qui ne parviennent pas à dépasser le seuil des 5% lorsque le vote anti-système s’élève à 55%. Avec l’abstention, nous arrivons même à 66% des inscrits qui sont dans une logique de rupture. Vertigineux! Jamais le système politique français n’avait été à ce point déserté par les électeurs.
Dans ce contexte, Emmanuel Macron devra tirer la leçon politique de cette déstabilisation fondamentale. A défaut, il pourrait s’exposer au risque d’une défaite, peu probable, mais possible. C’est bien là le fait politique de ce premier tour de la présidentielle.
Julien Pontier
Directeur général adjoint