C’est le paradoxe de ce premier tour : chaque parti a des motifs de déception, au-delà des discours convenus de soirées électorales. 

Les soutiens du Président de la République sont probablement les premiers à devoir s’inquiéter des conséquences de ce premier round. Emmanuel Macron, faute de majorité absolue, pourrait au soir du second tour se retrouver en face d’un hémicycle beaucoup plus turbulent qu’entre 2017 et 2022. 

 

Macron 2 et Mitterrand 2, une même configuration à prévoir ? 

Dans une configuration similaire, François Mitterrand largement réélu en 1988, n’avait pu s’appuyer entre 1988 et 1993 que sur une majorité relative. Il avait alors été contraint de former des majorités d’idées et de circonstances… et d’user et abuser du célèbre article 49.3 de la constitution, car le gouvernement pouvait y avoir recours aussi souvent qu’il le voulait et sur n’importe quel texte. La comparaison s’arrête là si l’hypothèse d’un fort tassement de la majorité présidentielle se confirme le 19 juin prochain. Depuis la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008, hors projets de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale, l’article 49.3 ne peut être utilisé que sur un seul texte au cours d’une même session parlementaire. 

Ce n’est dès lors pas le moindre des paradoxes : le groupe LR, qui devrait être réduit de moitié d’après les projections de second tour, pourrait devenir le groupe pivot de la future majorité présidentielle avec une capacité d’influence bien supérieure à celle qu’il exerçait lorsqu’il était la première force d’opposition dans la précédente assemblée! Encore faut-il que les futures députés LR rescapés s’entendent autour d’une ligne politique commune. 

Et même dans la meilleure des configurations pour la majorité présidentielle, c’est-à-dire une courte majorité absolue, Emmanuel Macron devra composer avec ses partenaires du MoDem et d’Horizons. Un moindre mal pour lui, même si le risque d’une fronde interne à la majorité présidentielle pourrait prendre corps lorsque les épreuves inhérentes à l’exercice du pouvoir et l’incapacité juridique du Président à briguer un troisième mandat inciteront probablement les plus ambitieux à se démarquer. De là à penser que la mandature qui s’ouvre sera un long chemin de croix pour le gouvernement, il n’y a qu’un pas qu’il serait à ce stade encore imprudent de faire.   

Tout au moins, peut-on remarquer qu’est sur le point d’être exaucé le souhait des électeurs de ne pas donner une majorité à Emmanuel Macron, une motivation du vote particulièrement identifiée par les sondeurs le jour du scrutin. Le Président devra dès l’entre-deux tour concrétiser sa promesse d’une gouvernance moins jupitérienne. Les fenêtres d’opportunité ne seront pas légions dans une semaine marquée par des déplacements à l’étranger qui laissent perplexes plus d’un observateur.  

 

Une victoire en trompe l’oeil de la NUPES

À gauche, à entendre le bruit médiatique des commentaires qui ont suivi les premiers résultats, la NUPES serait porteuse d’une dynamique électorale et politique. Il est vrai que le score de la coalition emmenée par le “premier-ministrable” Jean-Luc Mélenchon peut paraître de prime abord comme inespéré. Rappelons qu’à la fin de l’année 2021, le candidat à la Présidentielle plafonnait autour des 10% d’intentions de vote quand les autres candidats de gauche végétait sous la barre des 5%.  

Si l’on prend comme référence en revanche les législatives de 2017, la perception est tout autre. Désunis au 1er tour, les candidats de la gauche, aujourd’hui regroupés dans la NUPES, avaient recueilli plus de 28% des suffrages exprimés. On est donc loin d’une dynamique, pourtant ressentie au soir du 1er tour en 2022. Pourquoi ce décalage entre la perception et la réalité des chiffres ? D’abord parce que le mode de scrutin majoritaire à deux tours permet à la NUPES d’être présente dans près de 480 circonscriptions. Sa capacité à faire le plein des voix de gauche dès le 1er tour a d’ores et déjà eu des effets symboliques forts au premier rang desquels l’élimination dès le premier tour de l’ancien Ministre de l’Education national, Jean Michel Blanquer, dans le Loiret. Cette stratégie permet également de faire vaciller un grand nombre de Ministres, dont la défaite entraînerait leur éviction certaine du gouvernement. C’est enfin toute l’habileté de Jean-Luc Mélenchon d’entretenir l’illusion de son accès à Matignon, une hypothèse hautement improbable, mais pas écartée totalement dans une configuration où tous les candidats NUPES bénéficiaient d’un vote anti-Macron et d’un report pavlovien des voix d’extrême-droite en cas de duel avec la majorité présidentielle. Force est toutefois de constater que les réserves de voix sont quasi-inexistantes sur le papier.  

 

Rassemblement national : le plafond de verre se fissure de nouveau 

Victime des projections en sièges peu flatteuses pour le RN (entre 20 et 40 députés), Marine Le Pen sort affaiblie d’un premier tour dont les résultats ne lui permettent plus de bénéficier de son statut de première opposante à Emmanuel Macron. C’est un nouveau paradoxe, car le score du parti d’extrême droite est la principale surprise du scrutin. Les électeurs de Marine le Pen avaient jusqu’alors pour habitude de se démobiliser lors des élections législatives. Preuve en est les 13% des suffrages exprimés par les candidats RN en 2017. Les 19% recueillis 5 ans après sont une heureuse surprise pour Marine Le Pen de même que l’extension de l’implantation de son parti dans les zones rurales de la diagonale du vide et dans les zones péri-urbaines (la progression de ses candidats dans la métropole de Bordeaux en est une illustration)… de quoi regretter sa “stratégie défaitiste” de début de campagne, mais peut-être également la fin de non-recevoir exprimée à l’égard d’Éric Zemmour et sa proposition d’alliance. Si la gauche apparaît comme victorieuse à l’issue du 1er tour,  c’est également parce que la droite radicale n’a pas voulu adopter une stratégie similaire de  regroupement. Marine Le Pen aura eu la satisfaction d’avoir éliminé ses concurrents de “reconquête”, Eric Zemmour, Guillaume Peltier et Stanislas Rigault au risque de s’éloigner de l’objectif des 60 parlementaires espérés.  

 

Un second tour très incertain

Les projections en sièges sont une indication de ce que pourrait être la prochaine assemblée. Il n’en reste pas moins que des mouvements d’opinion importants peuvent intervenir entre les deux tours. 

En 2007, la vague bleue s’était brisée sur la TVA. Le Parti socialiste avait alors dû une cinquantaine de députés à l’habileté tactique de Laurent Fabius, qui au soir du premier tour des législatives, avait interpellé Jean-Louis Borloo, alors ministre des Finances, sur le financement par la TVA du «paquet fiscal» prévu par Nicolas Sarkozy. La gauche trouvait là l’argument de campagne qui lui manquait : la «TVA sociale» n’était pas destinée à baisser le coût du travail et à préserver des délocalisations, mais une TVA dont les taux allaient augmenter de 5 points tandis que le Smic ne gagnait que 2%. 

L’incertitude en 2022 porte sur le comportement électoral des abstentionnistes. La jeunesse et les milieux populaires entendront-ils l’appel de Jean-Luc Mélenchon à une “déferlante” ? L’incertitude porte sur l’attitude des électeurs LR au second tour lorsque leur candidat a été éliminé au second. Percevront-ils cette séquence électorale comme un retour du clivage gauche-droite et la majorité présidentielle comme un rempart à l’accession au pouvoir de la gauche radicale ? L’incertitude porte enfin sur le comportement des électeurs du RN et de la capacité des candidats en duel face aux représentants d’ “Ensemble” à incarner une coalition des mécontentements dans un vote massif anti-Macron. Réponse dimanche prochain ! 

 

Julien Pontier, Directeur général adjoint

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