Pour ce deuxième tour des élections régionales, les professions de foi avaient bien été glissées dans les boîtes aux lettres de tous les électeurs. Tous les bureaux de vote ont ouvert, y compris à Marseille. La couverture médiatique de la campagne d’entre-deux-tours a été plus importante. Enfin, chacun aura remarqué que ce dernier week-end du mois de juin n’était pas le plus propice pour aller à la pêche.
Et pourtant, 65,8 % des électeurs ont boudé les urnes. C’est certes un petit peu moins qu’au premier tour (66,7 %), mais infiniment plus qu’aux dernières régionales de 2015. Un écart de plus de vingt points sépare en effet les deux scrutins. La coalition des mauvaises humeurs que de nombreux observateurs et sondeurs ont cru pouvoir être agrégée dans le vote RN s’est traduite par une nouvelle manifestation de la défiance d’une majorité de français à l’égard du politique. C’est une véritable « grève civique » à laquelle on a assisté à l’occasion de ce double scrutin des départementales et des régionales.
C’est surtout une nouvelle preuve flagrante de l’apparition d’une abstention politique dans notre pays. La non-participation aux scrutins était par le passé le fait de Français trop éloignés du système politique pour s’y intéresser. Depuis une vingtaine d’années, on voit apparaître un abstentionnisme politique qui exprime le malaise des Français vis-à-vis de l’offre politique. Ce rejet devient une force politique en tant que telle, qui a symboliquement pris le pas sur le vote RN lors de ces élections.
Quels enseignements en tirer pour les présidentielles en 2022 ?
Il pourrait être tentant d’analyser cette séquence électorale locale comme les prémices d’un nouveau scénario, alternative au duel annoncé entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen.
Bien sûr, LREM enregistre les scores les plus faibles jamais observés pour un parti soutenant un président sortant. Éliminé dans trois régions dès le premier tour, ses listes ont rassemblé en moyenne moins de 7% des suffrages et certains symboles de cette défaite ne devraient pas passer inaperçus. Dans les Pyrénées-Orientales, l’ancien canton d’élection de Jean Castex bascule à Gauche ; Richard Ferrand, Président de l’Assemblée nationale, sera absent de l’hémicycle du Conseil Régional de Bretagne et son prédécesseur, François de Rugy, ne fait guère mieux dans la région Pays de la Loire ne réunissant qu’à peine 8% des suffrages exprimés, le plus mauvais score enregistré par la majorité en Métropole.
Bien sûr, Marine Le Pen et le Rassemblement national subissent une défaite cinglante. C’est même une double peine que subit la présidente du parti d’extrême-droite. Au premier tour, le parti ne réussit pas la percée espérée et prédite par les sondages dans un contexte où les thèmes de campagne lui étaient pourtant favorables ; au second, le front républicain, que certains disaient moribond, a fonctionné au-delà des espérances de Renaud Muselier en PACA. Marine Le Pen est dès lors placée devant une extraordinaire difficulté stratégique pour organiser sa campagne présidentielle : poursuivre la dédiabolisation ou revenir à la fonction tribunicienne du Front National, plus cohérente avec la marque « Le Pen ».
Malgré ces faits électoraux incontestables, en déduire que les cartes sont rebattues pour 2022 pourrait être une analyse à courte vue.
Prédire l’effondrement du RN, maintes fois annoncé depuis 30 ans, n’est pas plus sérieux. Pour au moins une raison : l’abstention aux présidentielles n’atteindra vraisemblablement pas ces sommets et on peut penser que l’électeur RN qui a préféré la pêche à l’isoloir, même par temps de pluie, trouvera dans le bulletin « Le Pen » aux présidentielles une nouvelle occasion de « renverser la table ». On peut faire l’hypothèse que cet électorat n’a pas considéré ce scrutin local comme un moyen de faire écho, sinon à son rejet de la classe politique, en tout cas à son mécontentement. Les appels désespérés des cadres du RN entre les deux tours sur un ton un brin moralisateur et agacé n’auront pas remobilisé les électeurs entre les deux tours.
Il faut dire que comme dans d’autres franges de la société française, les électeurs ne se sont pas appropriés les enjeux autour de la gouvernance des régions fusionnées en 2015. Le nouveau découpage de ces dernières ne correspondait à aucune logique identitaire, politique et économique, hormis pour la Corse. La moitié des Corses sont allés voter. En Grand Est, le taux d’abstention frôle la barre des 70% ! Il ne peut y avoir de hasard.
La crise sanitaire a confiné le débat politique et « congelé » les mouvements d’opinion, les intentions de vote pour le premier tour des présidentielles n’ayant en effet que très peu varié depuis près de deux ans. Après le second tour des régionales et départementales, le jeu politique semble désormais paralysé.
Paradoxalement, bien qu’impressionnantes, les déconvenues électorales des principaux partis à l’échelle nationale, RN et LREM, n’engendreront que des conséquences politiques limitées pour les candidats Macron et Le Pen.
Pour une première simple raison : cette séquence électorale ne serait qu’une nouvelle manifestation d’une distorsion de la vie politique observée durant tout le quinquennat, entre d’une part, une scène nationale marquée par l’affrontement entre les deux rivaux du second tour de l’élection présidentielle de 2017 et une scène locale où les élus de « l’ancien monde » demeurent reconnus et électoralement performants d’autre part. Avec l’amplification d’un phénomène déjà observé lors des municipales : les résultats traduisent une défaite de l’ensemble des partis et la victoire des « barons locaux »… de gauche comme de droite, tous reconduits sans exception dans leur fonction. Difficile dans ces conditions de tirer des enseignements pour 2022, à moins que l’étanchéité entre les deux sphères nationales et locales ne cède !
Pour une deuxième raison contre-intuitive : la victoire de la droite républicaine et de trois de ses candidats potentiels pourrait ouvrir une lutte fratricide, dont la droite française est coutumière. Si Xavier Bertrand dispose d’une courte avance dans la course à la candidature à l’Elysée, Laurent Wauquiez peut également se sentir pousser des ailes. Une rivalité qui déboucherait sur la confrontation entre deux lignes politiques que l’on commence à percevoir. Le Président des Hauts-de-France incarne une droite sociale et populaire à mi-chemin entre le candidat Chirac de la lutte contre la fracture sociale (1995) et le candidat Sarkozy cherchant à siphonner les voix du Front National (2007). Le Président de la Région Auvergne Rhône-Alpes quant à lui défendrait une ligne plus traditionnelle d’une droite plus dure encline à récupérer l’électorat du Rassemblement national lassé par l’incapacité de Marine Le Pen à percer le fameux plafond de verre.
A gauche, c’est peu dire que les régionales n’auront pas permis l’émergence d’un leader, encore moins d’une ligne stratégique claire. Les listes d’union au premier comme au second tour n’ont réalisé que des scores très faibles dans des régions pourtant ancrées traditionnellement à gauche comme dans les Hauts de France (19% au 1er tour et 22% au second tour). L’alliance de la gauche « hamoniste » en Ile-de-France parvient à peine à réunir les électeurs du PS, d’EELV et de LFI sans créer une dynamique. Les écologistes arrivés en tête de la primaire de premier tour dans les régions en conquête n’ont pas su faire la preuve de l’efficacité de leur leadership au second. Matthieu Orphelin, par exemple, n’a pas été en mesure de faire basculer la région Pays de la Loire. Seule le PS peut se targuer avec ses présidents sortants d’avoir su mobiliser l’électorat de gauche, à défaut de rassembler les partis. Le score impressionnant réalisé par Carole Delga en région Occitanie sans accords avec LFI et EELV ne manquera pas d’apporter des arguments aux derniers tenants d’une ligne sociale-démocrate et républicaine qui n’ont pas rejoint LREM. De l’extérieur du parti, Manuel Valls et Jean-Paul Huchon s’était fait les porte-voix de cette vision dans un remake des grandes heures de l’affrontement entre Rocardiens et Jospinistes (Lionel Jospin avait apporté son soutien à Julien Bayou, tête de liste EELV de la gauche réunie en Ile-de-France).
Le congrès du RN à Perpignan le 3 juillet prochain devait être une rampe de lancement pour Marine Le Pen auréolée des victoires acquises au moins dans deux ou trois régions. Le scénario rêvé ne s’est pas produit une nouvelle fois. Nul doute qu’en coulisse le doute gagnera les militants et certains cadres du parti. Jordan Bardella y arrivera en tout cas particulièrement affaibli pour briguer à l’automne la tête du parti. Pour Marine Le Pen, il s’agira d’afficher sa nouvelle stratégie pour faire oublier la déconvenue des régionales, avec probablement un discours plus offensif basé sur les fondamentaux du parti.
Du côté d’Emmanuel Macron, il sera difficile d’éluder cette séquence électorale. Un remaniement d’ampleur est peu probable, car il renforcerait la lecture nationale d’une défaite locale. Un changement à la tête de LREM est en revanche plus probable. Stanislas Guérini ne fait plus mystère de son intention de rendre les clés d’un parti qu’il n’aura pas su mettre en ordre de marche pour renforcer son implantation locale. Remettra-t-il ces clés à Gabriel Attal ou Roland Lescure. Dans les deux cas de figure, l’exfiltration de Stanislas Guérini pourra déclencher un remaniement technique pour l’accueillir au sein du gouvernement selon la jurisprudence Harlem Désir (2014).
Une chose est certaine ; les grandes manœuvres visant à poursuivre le travail de recomposition du paysage politique, en particulier la volonté de fracturer la droite, devra être mise entre parenthèses par le Président de la République. On voit de toute façon mal un leader de LR rallier LREM dans le contexte politique actuel. C’est sur le plan programmatique qu’Emmanuel Macron devrait être actif dans les prochains jours. Une réunion de travail avec les partenaires sociaux devrait avoir lieu au début du mois de juillet. Emmanuel Macron devrait alors détailler les réformes à engager d’ici la fin du quinquennat, telles que celle des retraites, la garantie jeune ou la loi sur le grand âge… un autre moyen de faire bouger les lignes avant la séquence électorale cette fois nationale qui s’ouvre avec en ligne de mire, non seulement les présidentielles, mais également les législatives qui s’annoncent plus incertaines encore !
Directeur général adjoint Euros / Agency Group