L’invasion de l’Ukraine par la Russie a transformé la dynamique géopolitique du jour au lendemain, provoquant une réaction politique enflammée et quasi churchillienne de la part des dirigeants mondiaux. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, s’est aussi vu contrainte à réagir à la situation et incarner l’unité européenne, s’efforçant de tenir Poutine pour unique responsable de cette “attaque barbare” qui plonge l’Union européenne dans un “moment décisif” de son histoire. 

C’est l’occasion pour l’UE, sous la présidence de la France, de joindre le geste à la parole et de donner un nouvel élan à la défense en entrant dans une nouvelle ère de complémentarité mutuelle entre l’OTAN et l’UE.

 

Une réticence de longue date à construire une défense européenne commune

Paradoxalement, alors que la France est souvent considérée comme une fervente défenseuse d’une Europe géopolitique, c’est elle qui a historiquement tué dans l’œuf toute possibilité d’une défense européenne commune en rejetant le traité établissant la Communauté européenne de défense (CED) en 1954. D’ailleurs, dans le contexte de la guerre froide, c’est sous le parapluie défensif américain de l’OTAN que les Européens entendaient assurer leur défense commune, préférant se concentrer sur la construction d’une Europe forte sur le plan économique. Depuis, la France a tenté de jouer un rôle moteur dans la construction d’une Europe stratégique au niveau international, y compris dans le domaine de la défense. Cette nouvelle approche française s’est notamment incarnée par l’adoption de la politique étrangère de sécurité commune (PESC) de l’UE à la suite du sommet franco-britannique de Saint-Malo en 1998 ou plus récemment lorsque la France a souhaité accorder un rôle central à la défense dans son programme pour la PFUE. Seulement, la PFUE ne prévoyait pas qu’une guerre éclate sur le sol européen, changeant ainsi fondamentalement la dynamique sous-jacente de la politique de défense.

 

Un bond en avant dans la coopération européenne en matière de défense suite à l’agression de Poutine

Depuis le début de la guerre, l’Europe est apparue de plus en plus comme étant une force géopolitique à part entière. En réaction à l’agression, l’UE a commencé par déployer des mesures restrictives à l’encontre de la Russie, puis de la Biélorussie, une décision certes prévisible mais dont la rapidité et l’ampleur semblent avoir même pris même par surprise la Russie. Cette réaction presque impulsive à l’agression russe contre l’Ukraine constitue le déploiement de sanctions par l’UE le plus rapide et le plus vaste à ce jour.

Parallèlement aux sanctions, l’Europe s’est accordée pour offrir à l’Ukraine une aide militaire initiale de 500 millions d’euros, dont le montant a été multiplié par deux à l’occasion du Sommet européen de cette semaine, auquel participe Joe Biden. Ceci semble indiquer une nouvelle volonté des États de coopérer en matière de défense et, surtout, d’en payer la facture. Il convient toutefois de noter que ces fonds proviennent des États membres et non de l’UE elle-même, ce qui souligne les limites, dans le cadre juridique actuel, du financement de la défense par l’UE malgré le soutien politique affiché.

Outre l’exploitation des mécanismes existants pour soutenir l’Ukraine et pénaliser la Russie, un changement structurel profond dans la défense de l’UE pourrait se profiler. 

Approuvée par les Etats membres cette semaine, la “boussole stratégique” (un plan d’action censé renforcer la politique de sécurité et de défense de l’Union) de l’UE a connu des révisions fondamentales de dernière minute en réponse à l’escalade des tensions géopolitiques. Une des initiatives concrètes découlant de ce changement stratégique est l’activation de sa force de déploiement rapide composée de 5000 hommes aux frontières européennes de l’Ukraine. 

De même, lors du sommet européen de cette semaine, les  chefs d’État européens ont donné le ton pour l’avenir de la défense européenne, en s’engageant à renforcer les capacités militaires des États membres, à multiplier les projets de défense conjoints et, surtout, à investir. Ainsi, tel que recommandé par l’OTAN, plusieurs Etats membres ont signalé vouloir consacrer au moins 2% de leur PIB à la défense, donnant au passage un coup de fouet à l’industrie européenne de la défense.

Une relation symbiotique entre l’UE et l’OTAN renforcée à l’avenir

À Versailles, les dirigeants européens ont également réaffirmé le rôle de l’OTAN en tant que “fondement de la défense collective de ses membres”. Si la présidence de Donald Trump et ses sorties sur le fait que les Européens ne payent pas assez pour leur défense avaient fait douter l’Europe de la protection américaine, l’agression russe a levé ces doutes. Dans une logique de confrontation entre blocs, où la Russie est à nouveau identifiée comme la principale menace pour notre sécurité, l’Europe reste résolument tournée vers l’alliance transatlantique pour assurer sa protection. 

Alors que tous les États membres reconnaissent l’ampleur de la menace russe, la déclaration d’Emmanuel Macron qui avait qualifié l’OTAN comme étant “en état de mort cérébrale” semble moins percutante à l’heure actuelle. Non seulement personne en Europe ne peut imaginer une défense commune en dehors du cadre de l’OTAN, mais des pays qui étaient auparavant neutres envisagent désormais de rejoindre l’alliance transatlantique, qui se traduit par une convergence, inégalée par le passé, des politiques étrangères des Etats membres.

Ces dernières semaines, de nombreux tabous européens ont été brisés, et l’on peut légitimement s’attendre à ce que le financement de la défense européenne augmente. Seulement, à l’heure actuelle, le cadre juridique de l’UE, dont l’objectif fixé est la paix, l’empêche d’engager plus de dépenses militaires : ces dépenses doivent provenir directement des États membres. 

En revanche, peut-être sommes-nous à la veille d’un renversement de logique dans la construction européenne, précipité par la guerre, où la neutralité appartient au passé et la convergence de nos politiques étrangères devient la règle plutôt que l’exception. L’ambition française d’une Europe plus géopolitique pourrait s’en trouver être plus proche que prévu et cela pourrait se refléter au cours de la PFUE et du discours tenu par la France. Alors que pour l’instant les États membres financent de leurs poches les investissements dans la défense, demain, l’UE pourrait financer elle-même des armements et des opérations militaires afin de promouvoir la paix et d’assurer sa sécurité.

 

Jonah Thompson et Tiago Carolino

Conseillers au pôle EUPA

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